Genre : Nouvelle historique
Copyright Marjolaine Pauchet
La lignée de Mater :
Les dons de la Terre-Mère
(tome 8)
Egram et Kar regardent les graines posées au sol. Quel dommage de laisser cette nourriture. Touf est mort hier soir. Une chasse qui a mal tourné. Le pauvre a agonisé pendant trois jours. Egram et Kar sont restés à ses côtés, lui tenant la main jusqu’au bout.
À présent que Touf est mort et enterré, ils ne sont plus que trois. Egram, Kar et leur fille Damaé qui n’a que quelques lunes. De leur clan, il ne reste qu’eux. La Terre-Mère n’a cessé de les punir ces derniers temps. Elle a commandé à leurs esprits de la rejoindre les uns après les autres. D’abord se fut Kya, le fils du chef, dont l’esprit écouta le commandement de la Terre-Mère. Puis chacun, mères, pères, enfants, anciens… Tous et toutes. Qu’est-ce que la Terre-Mère peut bien leur reprocher ? L’un d’eux mourra-t-il encore ?
Cette question trouvera sa réponse en son heure. Ils regardent les graines au sol. Ils ne prendront rien, que leur fille déjà dans les bras de sa mère. Quel dommage, tout de même, de laisser cette nourriture. Qu’importe, il faut partir. Bientôt, le froid envahira la vallée, le gibier se fera rare et les plantes encore plus. Damaé ne survivra pas. À deux, ils ne sauront pas la protéger du froid, de la faim et des prédateurs s’ils restent ici. L’amour, parfois, ne suffit pas. Alors pour sauver leur enfant, ils laissent tout, conscients de la route, longue, sans doute, qu’ils ouvrent devant eux.
Six mois passent.
Les jours rallongent, les températures grimpent, le soleil arrose tout de ses rayons et le monde redevient vert à perte de vue. Egram, Kar et Damaé sont de retour. Là où ils ont jadis laissé ces quelques graines, des plantes ont poussé. Egram les regarde. Elles sont de la même espèce que celles dont provenaient les graines. Après quelques jours de réflexion, elle offre sa conclusion à son compagnon : pour elle, se sont les graines qu’ils ont laissées là avant leur départ qui sont à l’origine de ces plantes. Kar éclate de rire. Pour lui, cette idée est absurde. Pourtant, Egram sait qu’elle a raison. Elle connaît les plantes. Elle sait depuis longtemps que parfois, la terre nue reste nue, tandis que d’autres fois, elle se pare de mille teintes de verts. Pendant si longtemps elle s’est demandée pourquoi… Ce serait donc ça, la réponse ? Oui. Elle y croit.
Mais toute la plaine est verte. Toute la plaine est couverte de fleurs, de plantes, etc. Pour Kar qui voit la multitude, le fait qu’à cet endroit, ce soit cette espèce qui ait poussé est le fruit du hasard ou la volonté de la Terre-Mère. Rien de ce que peuvent les descendants de Mater ne changera ça.
Lorsque le temps des graines est revenu, Egram choisit une terre nue pour y planter celles qu’elle a prises. Et voilà qu’après quelques jours, des pousses sortent de terre. Kar n’en croit pas ses yeux. Se pourrait-il qu’Egram ait raison ? Si oui, alors il entrevoit déjà un avenir radieux pour sa petite famille. Un avenir où la faim n’existerait plus. Mais le soleil est bien trop fort et la pluie ne vient pas. Les petites plantes ne résistent pas. Egram est déçue. Elle sait depuis longtemps que trop de chaleur et pas assez d’eau font jaunir la plaine et dépérir les plantes. Comment faire ? Elle s’en veut d’avoir cru pouvoir ravir à la Terre-Mère son pouvoir de vie. Et voilà qu’Elle se charge de la remettre à sa place.
Pour supporter la chaleur, la petite famille se rapproche de la rivière. Il y fait plus frais et surtout, ils espèrent y trouver encore de l’eau. Enfin arrivés, Kar s’agenouille devant le cours, y plonge les mains, les joints pour y puiser de l’eau et mène le bienfaisant liquide jusqu’à sa bouche. Une fois, deux fois. Alors qu’il étanche sa soif, une idée lui vient : peut-être pourrait-il étancher de même la soif des plantes. Mais comment transporter l’eau ? Dans la panse d’aurochs qui sert déjà de besace, peut-être ? Oui ! C’est une idée ! Et Egram et Kar, tous deux, vont arroser des plantes qui survivent encore.
Quelques jours plus tard, la flore ainsi abreuvée est redevenue verte et vigoureuse. Cependant, au milieu de la plaine jaune, ce vert attire les herbivores qui ont tôt fait de manger le fruit du labeur de Kar et Egram.
Cependant, tous deux n’ont pas dit leur dernier mot. Ils abreuvent à nouveau certaines plantes et montent la garde à tour de rôle. C’est épuisant.
Il va falloir rester longtemps. Il va falloir tenir l’hiver lorsqu’il sera là. Il va falloir rester pour que la détermination du couple paie enfin. Alors ils construisent leur abri juste à côté. Et quitte à rester, à mesure que les jours décroissent, ils plantent des pieux de plus en plus solides dans le sol pour tenir la peau qui leur sert de toit. Des pieux, mais quelle idée ! Et pourquoi ne pas les disposer autour de ce petit carré de terre qu’ils veulent protéger ? Cela effaroucherait peut-être les animaux ? Non ? Et pourquoi ne pas disposer des bâtons à l’horizontal entre chaque pour bloquer le passage des herbivores ?
Au fil du temps, Egram et Kar seront aidés par Damaé, puis par celles et ceux qui les rejoindront. En ayant inventé l’agriculture, Egram a ouvert une porte à la lignée de Mater. Pour que cette invention ne soit pas vaine, il a fallu inventer sitôt la sédentarité et une autre porte s’ouvre.
De bonnes choses ? Pas sûr. Question de point de vue… Car dès lors, la lignée de Mater augmentera de façon considérable sa démographie. Dans le même temps, l’espérance de vie de ses représentants se réduira drastiquement et elle découvrira les conflits, puis les guerres. Avec l’avènement des premiers villages, viendront les premières épidémies. Mais pour l’heure, Kar et Egram sont juste fiers du cadeau qu’ils font à Damaé : la sécurité alimentaire.