Le temps dans un récit

Il est essentiel, pour écrire une histoire, quelle que soit sa longueur, roman, nouvelle, ou autre, peu importe, de maîtriser les notions de temps. Oui, vous avez bien lu, « notions » est au pluriel. Il y a en effet plusieurs notions de temps.

Le temps dans le récit

D’une part, il y a la concordance des temps, qui s’applique aussi bien à la phrase, qu’au paragraphe ou au texte tout entier, mais cela fera l’objet d’un article dans la rubrique Ortho-typo.

Ce que nous allons aborder aujourd’hui, c’est le choix du temps (présent ou passé) qui va pouvoir considérablement modifier un récit.

Le présent

Ce temps est celui où l’on parle, celui qui est en train de se produire. Je ne vous apprends rien là-dessus. Mais ceci implique qu’il rend votre récit plus… présent, plus prégnant. On immerge plus facilement le lecteur dans un récit au présent. Il entre dans la peau de vos personnages, se retrouve dans la même pièce qu’eux à vivre et respirer avec eux. Votre lecteur se sent plus proche de vos personnages avec un récit au présent, il les connaît mieux, en est l’ami proche, car il vit les mêmes choses qu’eux au même moment.

Le présent est donc un temps qui englobe. Il vous englobe vous, votre monde, votre lecteur.

Nul besoin de déclamer une vérité générale pour glisser, au cœur de votre récit, une petite phrase discrète au présent. Le présent de vérité générale a beau exister, il est à traiter comme un souvenir lointain de vos cours de français de collège. En tant qu’auteur ou qu’autrice, vous pouvez écrire l’intégralité de votre récit au présent.

Ce phénomène d’englobement est la principale utilité de ce temps, car il n’est, de fait, pas réputé être celui du récit. Mais il peut aussi, parce qu’il vous fait entrer dans l’histoire, vous la rendre plus réelle. Pratique lorsqu’on écrit, par exemple, de la fantasy. Vous vivez l’histoire à mesure que vous la lisez. Donc, puisque vous êtes vous-même en train de la vivre, il n’y a pas d’alternative à la réalité. L’histoire devient réelle. L’histoire est réelle.

Ainsi, j’ai écrit tout mon roman de science-fiction Au seuil du monde au présent. Vous pouvez en découvrir un extrait ici.

Le passé

Les temps classiques du récit sont l’imparfait et le passé simple. L’imparfait pour une action qui dure, qui s’est terminée il y a longtemps ou qui n’est pas encore achevée, c’est le temps du récit par excellence. Le passé simple pour une action brève ou terminée. Cela, c’est exactement ce qu’on vous a appris à l’école.

Le passé est le temps des contes de fées, surtout quand ils commencent par le fameux « Il était une fois… ». Personnellement, lorsque j’écris un conte, je lui préfère la formule plus complète (et que je trouve plus jolie) : « Il était une fois, car toutes les belles histoires commencent ainsi… » Ici, l’imparfait de « était » annonce le temps du récit. Le présent de « commencent » est pour le coup un présent de vérité générale. Le reste de l’histoire est au passé.

Le passé induit, vis-à-vis du lecteur, une distanciation par rapport à l’histoire. Il en est exclu, car on la lui raconte après qu’elle se soit produite. Cela implique aussi qu’il peut plus facilement en remettre en doute la véracité. Il n’a pas été témoin des événements. Une technique pour réduire cet effet est d’adopter un point de vue omniscient. Avec ce point de vue, le lecteur ne sait pas uniquement ce que savent les personnages, mais tout ce qu’il y a à savoir sur l’histoire. Cela donne au récit une meilleure crédibilité, mais distancie encore un peu plus le lecteur et les personnages.

Cependant, l’exclusion de l’histoire est parfois une bonne chose, lorsque celle-ci est trop/très dure ou violente. Le lecteur peut alors ne pas avoir envie de connaître ce récit de trop près. Qui n’a jamais vu un film de guerre ou sur l’Holocauste ? Vous avez pu trouver ce film intéressant, instructif, divertissant s’il était purement fictif, mais aimeriez-vous le vivre pour de bon ? Je gage que peu ou personne ne répondra par l’affirmative.

Lorsque l’histoire est par trop invraisemblable, un récit de zombies par exemple, l’écrire au présent pourrait être perçu comme une tromperie par le lecteur qui ne parviendrait pas à s’y intégrer. Au contraire, le passé est alors vu comme un aveu de fausseté (sans connotation péjorative) de la part de l’auteur ou de l’autrice et donc permettra plus facilement au lecteur de l’accepter.

L’atmosphère de l’histoire ne peut être qu’impactée par ces différentes caractéristiques du temps, qu’il s’agisse du présent ou du passé.

Reprenons un court texte que j’avais écrit pour l’article sur l’ambiance d’un récit :

Tel que je l’ai écrit :

« Le bateau tanguait de toutes parts. Les marins affairés à leurs tâches n’avaient pas le temps d’avoir peur. Les creux vertigineux succédaient aux montagnes d’eau. Les vagues roulaient sur le pont à n’en plus finir comme si la mer elle-même avait maudit ces hommes. Dans la cabine du capitaine, terrorisé, le chat miaulait. »

Le même au présent :

« Le bateau tangue de toutes parts. Les marins affairés à leurs tâches n’ont pas le temps d’avoir peur. Les creux vertigineux succèdent aux montagnes d’eau. Les vagues roulent sur le pont à n’en plus finir comme si la mer elle-même avait maudit ces hommes. Dans la cabine du capitaine, terrorisé, le chat miaule. »

Le même au passé simple :

« Le bateau tangua de toutes parts. Les marins affairés à leurs tâches n’eurent pas le temps d’avoir peur. Les creux vertigineux succédèrent aux montagnes d’eau. Les vagues roulèrent sur le pont à n’en plus finir comme si la mer elle-même avait maudit ces hommes. Dans la cabine du capitaine, terrorisé, le chat miaula. »

  • Première remarque, concordance des temps oblige, certains passés sont conservés dans la version au présent.
  • Deuxième remarque, à la lecture de la version au présent, on est sur le bateau, à croiser les doigts pour que les marins réussissent à vaincre la tempête pour que nous nous en sortions tous. Le cœur bat plus fort. Le moment est plus intense. On s’attend à ce que quelqu’un au moins s’en sorte. On espère.
  • Troisième remarque, à la lecture des versions au passé, la distance est plus grande, bien que le suspense soit très présent, on veut savoir ce qui va arriver à ces hommes et à ce chat, mais on n’est pas avec eux sur le bateau. D’une certaine façon, c’est plus rassurant. La distanciation permet d’envisager l’éventualité d’un naufrage sans aucun rescapé.
  • Quatrième remarque, dans la version au passé simple, les actions sont plus brèves, elles sont achevées et la situation globale paraît moins dramatique. Comme elles sont achevées, on entrevoit un après sans avoir besoin de savoir lequel. Il y en a un, cela suffit pour réduire le suspense (sans l’anéantir complètement).

Article publié pour la première fois sur Overblog le 1er juin 2020.

 

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