Genre : Nouvelle historique
Copyright Marjolaine Pauchet
Mater :
Naissance d’une lignée
(tome 1)
Quelque part en Afrique, il y a très longtemps…
Un groupe de singes se réveille au matin, perchés dans les branches d’un arbre centenaire. La nuit a été longue.
Au soir, un groupe rival a attaqué et la bataille a duré plusieurs heures… Des corps inertes gisent au sol. Les prédateurs s’en sont repus toute la nuit et n’ont pas fini.
Des questions territoriales, cannibales, aussi.
Parmi les survivants de ces terribles heures, une jeune femelle enceinte. Le stress et les émotions de la nuit ont déclenché chez elle les premières douleurs de l’enfantement. Elle attrape une branche, son ventre se contracte, elle la serre.
Elle pousse aussi fort qu’elle le peut. Bientôt, la tête sort et puis le petit être est dans ses bras. Elle mange le cordon qui le relie toujours à elle et l’approche de son sein gorgé de lait. C’est une femelle.
Les semaines et les mois passent. La petite femelle grandit, lâche peu à peu les poils de sa mère pour s’amuser avec les autres jeunes de son âge. Comme tous, et contrairement aux adultes, elle marche debout.
Marcher ? Courir surtout !
C’est de son âge… Se chasser, se pourchasser, s’attraper, se jeter des bâtons, se faire tomber, éclater de rire…
Les amitiés se tissent, les clans dans le clan. La hiérarchie naît, reprend celle des parents.
Mater grandit encore. Au-delà de ses affinités, elle se sent différente. Quelque-chose en elle la distingue des autres. Tandis qu’elle approche pas à pas de l’âge adulte, ses bras, comme ceux de ses amis, s’allongent. Leurs dos se courbent, les mains touchent le sol.
À présent, les amis de Mater, comme les adultes, marchent sur leurs quatre membres. Mais son dos à elle ne s’est pas courbé, son cou est resté droit. Mater continue de marcher debout.
Mater est différente. Elle n’est pas bien grande et surtout, elle marche comme les plus jeunes.
Alors c’est ainsi que les membres de la troupe la traitent désormais. Mater est à part. Son corps, à sa façon, refuse de vieillir. Bien vite, elle devient l’oméga. La concertation est inutile. Tous sont d’accord.
Et quand le désir d’être mère lui vient, aucun mâle ne veut d’elle. Ses amis d’hier sont ses harceleurs d’aujourd’hui. Son pelage se ternit. Personne pour l’épouiller ou l’aider à faire sa toilette. Pour tout, elle est seule. Seule, elle grimpe sur sa branche, se met à l’abri des prédateurs. Impossible de se construire un nid de feuilles sans les autres. La saison des pluies arrive. Trempée, elle tremble de froid. Elle tente de se rapprocher du groupe pour bénéficier de leur chaleur corporelle et se sentir moins seule.
Ils la chassent, la rudoient, la battent, la mordent. Toute la forêt résonne de leurs cris. Son sang coule. Mater, silencieuse, retourne sur sa branche pour panser ses plaies, puis tente comme elle le peut d’arranger le semblant de nid qu’elle s’est construit.
Le lendemain, arrive un jeune mâle dans leur coin de forêt. Solitaire, il a quitté la troupe dans laquelle il est né, chassé par son père qui voyait en lui un rival. Le jeune mâle n’est pas agressif et ne demande qu’à s’intégrer à la troupe. Sera-t-il accepté ?
Les mâles du groupe ne désirent pas plus sa présence. Ils le chassent avec violence. Le message est clair : on ne veut pas de lui ici. S’il insiste, il sera tué. Il le sait. Pourtant, il reste en retrait, à quelques arbres de distance. Il a repéré une petite femelle esseulée. Elle lui plaît. Mater lui plaît. Il la voit descendre au sol. Elle n’est pas bien grande et surtout, sa démarche n’a rien de naturelle, elle est étrange. Elle marche debout, comme les plus jeunes. Qu’importe. Mater lui plaît. De loin, discret, il l’observe.
Pendant que le dominant grignote, occupé, tantôt à renifler son repas, tantôt à regarder sa favorite ou les oiseaux dans les arbres, décidément bien bruyants aujourd’hui, un subordonné lui chipe sa nourriture. Une course poursuite commence, mêlée de cris et de peur. Toute la troupe s’agite. Mater, dans son coin, observe sans prendre part, jamais. Se serait risquer plus de coups encore que le fautif.
Le jeune mâle profite de la diversion et se précipite sur elle. Habituée à être rudoyée, elle crie à son tour, fuit, tout en frappant l’intrus. Mais bientôt elle comprend, l’importun ne lui veut aucun mal. Mater s’adoucit et se laisse renifler. Elle renifle à son tour, puis il lèche ses plaies.
Le dominant qui en a fini avec le larron les aperçoit et leur fonce dessus. Mater et le jeune mâle sont chassés par tout le groupe. Pour de bon.
Cette fois, Mater n’a plus de foyer, plus de troupe. Isolée comme elle ne l’a jamais été. Croit-elle ? Le mâle est là.
À deux, ils ne seront plus seuls et il saura être accepté pour compagnon. Ensemble, ils fonderont une nouvelle troupe. Une troupe dont ils seront les alphas. Bientôt, le ventre de Mater s’arrondit enfin.
Ses descendants marcheront debout.