Au seuil du monde : extrait

Bonjour à tous et à toutes. Je vous invite à découvrir le premier chapitre de mon roman de science-fiction Au seuil du monde. Ce roman est sorti le 12 septembre 2020. Il est copyrighté.

Nombre de pages : 268

Bonne lecture.

Couverture de Au seuil du monde

Au seuil du monde

 

La malle

Je m’appelle Jeanne Nérol, j’ai vingt-deux ans, je suis en quatrième année de médecine à Toulouse et ce jour du 11 octobre 2010 a bouleversé ma vie. Voici comment.

À 7 h 40 du matin, alors que je parcours d’un pas pressé les quelques centaines de mètres d’avenue qui relient ma résidence à la fac, mon portable sonne. Numéro inconnu. Surprise que quelqu’un m’appelle à cette heure-ci, je décroche.

L’homme au bout du fil se présente sous le titre de maître Cardol, notaire à Tarascon-sur-Ariège. Il dit être l’exécuteur testamentaire de M. Antoine-Louis Berrare, un oncle éloigné.

Dans la foulée, maître Cardol m’explique que M. Berrare vient de décéder sans épouse ni enfant et qu’il a décidé de faire de moi son héritière.

Je me rends à mon cours sur les maladies auto-immunes, je me dépêche, j’ai la respiration haletante et pense surtout à ne pas arriver en retard. À cette heure, le trafic sur la route de Narbonne est déjà dense, les automobilistes pressés comme moi. Le bruit est important, je me demande si j’ai bien entendu et surtout si c’est un canular d’Audrey et Gaëtan, mais risque un « Ah. Et j’ai hérité de quoi ? » Je suis peinée de la disparition de ce monsieur, mais j’ai la tête ailleurs et ne le connaissais pas. Secrètement, j’espère avoir hérité une grosse somme d’argent, quoique ce serait sans doute là la meilleure preuve d’un canular.

— M. Berrare possédait une vieille maison dans le village, cependant personne n’y a fait de travaux depuis des années. Elle est aujourd’hui à peine habitable. C’est le facteur, M. Haeblard, qui a trouvé votre oncle sans vie lors de sa tournée avant-hier. Votre oncle était très âgé, cent six ans.

— Cent six ans ! dis-je surprise.

Maître Cardol ne s’interrompt pas.

— Je pense que la maison sera déclarée insalubre par le préfet. En prévision, M. Berrare l’a léguée à la ville de Tarascon. En outre, il n’a laissé aucune dette. Vous héritez par conséquent d’une malle, en parfait état, fermée à clé et cadenassée ainsi que de tout son contenu. Sur ordre du testateur, elle n’a pas été ouverte. Les clés se trouvent dans une enveloppe scellée dans un coffre d’une banque de Foix. Les codes d’accès pour le coffre de la banque ainsi que la malle doivent vous être remis en main propre et…

— Je vous arrête, Maître, je ne vais pas venir en Ariège pour une simple malle.

— Si vous refusez votre héritage, celui-ci ira directement à l’État.

— Je… excusez-moi, je dois vous laisser, je vais être en retard à mon cours, je vous rappelle cet après-midi.

Cette conversation n’a pris en tout que cinq minutes. J’atteins l’entrée du bâtiment B ; long de cinquante mètres, haut de quatre étages, il ne semble être fait que d’acier, de cuivre et de verre. La salle est au troisième étage, sans ascenseur. J’arrive juste. Je déballe mes affaires, il est 7 h 50, le cours commence.

Je suis à côté d’Audrey. Un an de plus que moi, grande brune fine comme un i, passe son temps à blaguer sur tout et à manipuler sans méchanceté les gens pour s’amuser. Il est d’ailleurs difficile de savoir quand elle dit la vérité, néanmoins son humour me plaît et nous nous soutenons dans nos études. Je lui parle du coup de téléphone. Elle rit.

« Non, si ça avait été moi, t’aurais certainement pas hérité d’une vieille malle ! »

Malgré le démenti d’Audrey, je reste sceptique sur la réalité de cet appel. Pourquoi cet homme, qui serait de ma famille alors que je n’en ai jamais entendu parler, m’aurait-il choisie comme héritière ? Et pour quoi ? Pour une malle. Cela n’a pas de sens.

J’essaie de suivre la leçon, mais c’est difficile, cette histoire me trotte dans la tête.

13 heures, la pause déjeuner, enfin. J’en profite pour téléphoner à ma mère et lui parler de cette histoire. « L’oncle Louis est mort ? » me répond-elle surprise quand j’évoque son nom. Pourtant c’est moi la plus surprise. Je lui demande pourquoi je n’ai jamais entendu parler de lui.

« L’oncle Louis était un solitaire, dit-elle, il n’aimait pas les gens ni sortir de chez lui. Je suppose que c’est pour cela qu’il ne s’est jamais marié. Je l’appelais Oncle Louis bien qu’il fût en fait mon grand-oncle. Je ne l’ai pas vu souvent. Peut-être trois, quatre fois. Je ne sais pas. À la dernière, tu étais dans mon ventre. Il écrivait parfois et téléphonait. Il m’a appelée il y a moins de deux mois de ça. Tu sais qu’il avait plus de cent ans. Une santé de fer. Jamais malade. On a parlé de toi, il m’a demandé si tu faisais toujours médecine. Et de quoi as-tu hérité ? »

J’ai du mal à répondre, j’ai besoin d’ingurgiter tout ça. C’est une histoire de fous. Après un instant, je lâche un « juste d’une vieille malle ». Je ne parle pas du cadenas, de la banque, du code pour ouvrir le coffre, trop bizarre. Ma mère continue à me parler de l’oncle Louis, mais j’ai la tête ailleurs, comme pendant le cours. Que contient cette malle ? Pourquoi moi ? Pourquoi une clé et un cadenas, une enveloppe scellée à la banque ? De ce que dit ma mère, il serait resté en contact avec elle pendant toutes ces années, s’enquérant régulièrement de moi depuis qu’un jour de mes neuf ans, j’annonce fièrement à la famille que je veux être médecin.

16 h 50, j’ai une pause d’une heure entre deux cours. Je n’ai pas pu me concentrer de la journée. Je rappelle maître Cardol, lui dis que je viendrai chercher la malle et lui demande quand auront lieu les obsèques. Si la seule chose que l’oncle Louis avait de précieux est dans cette malle et que c’est à moi qu’il le laisse, le moins que je puisse faire est d’y assister même si je ne le connaissais pas.

« Effectivement, me répond maître Cardol, M. Berrare avait tout prévu et payé par avance pour ses obsèques, il ne voulait pas en imposer la charge à une famille qu’il ne voyait jamais. Elles auront lieu demain à 14 heures, au cimetière de Tarascon-sur-Ariège. »

Dans la foulée, je prends rendez-vous avec maître Cardol pour le lendemain matin, afin de récupérer la malle et les codes d’accès pour le coffre à la banque.

Puis je téléphone à ma mère pour le lui annoncer. Elle habite à Rennes et ne pourra pas être là à temps. Nous décidons que j’irai seule aux obsèques et qu’elle viendra se recueillir sur la tombe de l’oncle Louis dès qu’elle le pourra. Je retrouve Audrey et Gaëtan pour le cours suivant et leur demande de prendre ce que je vais rater. Lui est aussi un excellent ami. Un bouc au bout du menton – principal sujet des moqueries d’Audrey – bûcheur et cartésien jusqu’au bout des ongles, il a de loin les meilleures notes de l’amphi. Conscient d’être souvent trop sérieux, c’est le tempérament farceur de notre amie qui le fascine le plus. Quant à moi, je partage avec lui mon goût pour la randonnée et la photo.

19 heures, je rentre chez moi. Tarascon n’est qu’à une centaine de kilomètres de Toulouse, je partirai demain matin de bonne heure. J’ai rendez-vous avec maître Cardol à 10 heures. Je continue à me poser les mêmes questions. Que contient cette malle ? Pourquoi moi ?…

J’allume la télévision pour essayer encore une fois de me changer les idées. Pas facile, surtout vu le programme. Séries US bidons, documentaires ineptes, films rediffusés pour la énième fois… J’éteins, me fais à manger puis me plonge dans mon livre La peste d’Albert Camus. Après deux chapitres, j’abandonne et décide de me coucher.

12 octobre, 7 heures du matin. Le réveil sonne. Je me prépare en pensant à cette maudite malle et me dis qu’elle a intérêt à contenir quelque chose de captivant, un trésor en pièces d’or ou en je ne sais quoi, la formule du remède miracle pour lutter contre le cancer ou pour avoir une santé de fer jusqu’à cent six ans.

7 h 45, je pars. Comme prévu, la circulation dans Toulouse à cette heure est impossible. Une demi-heure après être partie, je sors enfin de la ville, direction Tarascon. J’arrive une heure et demie plus tard dans ce charmant petit village qui enjambe la rivière Ariège au pied d’un énorme rocher. La difficulté maintenant est de trouver l’adresse du cabinet de maître Cardol. Les rues se ressemblent toutes. Étroites, sinueuses, elles aboutissent en nombre à la place centrale ou à un parking qui tient lieu de seconde place. C’est à l’embouchure de l’une de ces rues que se trouve le cabinet. Je sonne, il est tout juste 10 heures. L’entrevue est brève. Il m’apprend que l’oncle Louis l’avait choisi comme exécuteur testamentaire voilà à peine deux mois. Curieux selon lui. Curieux en effet qu’un homme même avec une santé de fer attende d’avoir cent six ans pour se préoccuper de ses obsèques. Curieux encore qu’après ne s’en être, semble-t-il, jamais soucié durant toutes ces années, il se prépare à sa propre mort si peu de temps avant qu’elle ne survienne, on pourrait même dire avec une telle précision. Je réalise qu’il est curieux, enfin, qu’il téléphone à ma mère pour la dernière fois à peu près à la même époque pour s’enquérir de moi. Après une discussion des plus distrayantes sur le sujet où mysticisme et zététique se mêlent, maître Cardol me lit le testament de l’oncle Louis.

Je soussigné, Antoine-Louis Berrare, résidant à Tarascon-sur-Ariège, dans le 09, fils de Henriette Berrare, née Pina, et d’Antoine Berrare, arrière-grand-oncle de Mademoiselle Jeanne Nérol, désigne par la présente Maître Thomas Cardol, notaire à Tarascon-sur-Ariège, comme mon exécuteur testamentaire. Je lègue ma maison de la rue des Chapeliers, le sol et tout ce qu’elle contient à cette même ville de Tarascon à l’exception d’une malle cadenassée, remise à Maître Cardol. Je confie en héritage cette malle ainsi que l’intégralité de son contenu à Mademoiselle Jeanne Nérol à condition que cette dernière lui soit remise en main propre […].

Maître Cardol achève la lecture du testament puis va chercher la malle. Elle mesure environ un mètre de long sur une cinquantaine de centimètres de large et une soixantaine de haut. C’est une vieille malle en bois clouté en très bon état.

— Est-elle lourde ?

— Une dizaine de kilos, répond maître Cardol.

Je pense que je peux dire adieu aux pièces d’or. Scotchée à la malle, une enveloppe. Elle renferme, me dit le notaire, les codes d’accès du coffre à la banque. Je prends l’enveloppe devant lui, l’ouvre pour en vérifier le contenu. Il s’agit bien d’une feuille, estampillée du logo d’une banque avec, dessus, les fameux codes. Je ne peux m’empêcher de sourire devant cette mise en scène, alors que le notable reste de marbre.

Effaçant mon sourire, je mets le tout dans mon sac. Puis, après la signature des papiers d’usage et une dernière poignée de main, je remercie maître Cardol, prends la malle et vais la mettre dans la voiture.

Direction Foix pour aller récupérer les clés, ce qui ne pose aucune difficulté, si ce n’est qu’il me faut laisser seule la voiture avec la malle à l’intérieur. Que contient-elle ? Est-ce prudent de garder cette mystérieuse malle en pleine ville, dans une voiture sans surveillance ? Non ! J’arrête de me torturer l’esprit. Aller chercher ces fichues clés, être enfin fixée.

L’aller-retour jusqu’à la banque me prend à peine vingt minutes.

Me revoilà à ma voiture. J’ouvre le coffre, tourne les clés dans le cadenas, l’enlève, soulève le couvercle.

Je m’attendais à beaucoup de choses, des bons du Trésor, un remède miraculeux, une planche à billets, des documents TOP SECRET sur les Illuminati, une méthode pour prédire l’avenir ou que sais-je, mais pas à ces trois barres de métal gris argenté. J’aperçois une feuille sous les barres, la saisis. Elle contient un schéma de construction visiblement fait à la main pour assembler les trois barres et ce mot :

« Surtout ne parle JAMAIS de tout ceci, à personne, sous aucun prétexte, même contre ta vie, même contre celle de tes proches. SOUS AUCUN PRÉTEXTE.

Sois très prudente.

Ton arrière-grand-oncle, Antoine-Louis. »

Dépitée, abasourdie par cette histoire ridicule, je remets le papier dans la malle, referme et vais me promener. Il est 11 h 30, les obsèques sont à 14 heures, ce qui me laisse le temps de me balader un peu. Après quelques pas, je réalise qu’à cent six ans, le pauvre oncle Louis devait probablement ne plus avoir toute sa tête. Et moi, voilà plus de vingt-quatre heures que je me prends la mienne avec cette histoire de fous, sans compter la journée de cours que je suis en train de rater. Tout cela pour cette malle presque vide et ce vieux bonhomme dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à hier. Après cette pensée, je me vide la tête et ne songe plus à rien jusqu’à ce que mon estomac me dise qu’il est temps de me nourrir.

14 heures. J’arrive au cimetière. Il n’est pas très grand et j’aperçois tout de suite le cercueil et l’allée où je dois me rendre. Il n’y a personne, je suis seule. Au bout de vingt minutes, deux employés du cimetière me demandent si quelqu’un d’autre doit venir et s’ils peuvent mettre le cercueil en terre et le recouvrir. Je ne sais pas quoi dire. Était-il si solitaire que personne d’autre ne viendra ? Je fais attendre les deux hommes. Après vingt minutes supplémentaires à me recueillir seule devant la bière de cet homme que je ne connaissais pas, mais dont l’extrême solitude jusqu’à cet instant m’arrachera malgré tout des larmes, je finis par me résoudre à laisser les deux employés faire leur travail et repars.

16 h 20. J’arrive chez moi, je réalise alors qu’il n’est pas trop tard pour me rendre à mes derniers cours de la journée. Sans plus y penser, je laisse la malle dans la voiture et pars à la fac. 18 h 40, je quitte l’université et vais passer la soirée avec Audrey et Gaëtan. Je les ai tous deux rencontrés lors de mon arrivée à l’université. Nous buvons deux ou trois verres, parlons de cette histoire insensée. Gaëtan veut voir la malle et son contenu, Audrey prend sa suite et tient également à voir le fameux coffre. Nous allons chez moi, je récupère la malle dans ma voiture et Gaëtan la porte.

Une fois arrivés, nous évoquons encore, en riant, toute cette histoire. Je propose des boissons à mes amis, puis ouvre le coffre devant eux. Il prend une des barres de métal. Elle mesure environ cent dix centimètres de long pour trois de diamètre. Une des extrémités est aplatie dans le sens de la longueur, l’autre possède un trou par lequel on peut distinguer que l’intérieur de la barre est plein. Elle est entièrement lisse et doit bien faire trois kilos. Les deux autres barres sont identiques. Audrey attrape le mot, le lit puis éclate de rire : « même contre celle de tes proches… » reprend-elle tout en riant « … SOUS AUCUN PRÉTEXTE ! » poursuit-elle avant de conclure : « Soit il avait bu ce jour-là, soit il était complètement sénile ! » La soirée se poursuit ainsi une bonne heure jusqu’à ce que Gaëtan décide d’assembler deux des barres suivant le schéma que l’oncle Louis a laissé.

« Il y a une extrémité mâle et une extrémité femelle, dit-il. D’après le schéma, quand les trois barres sont assemblées, ça doit former un triangle. Tu ne devras montrer ce triangle à personne, même au péril de ta vie ! » enchaîne-t-il en riant lui aussi.

Après cette joyeuse soirée, ils s’en vont tous les deux tandis que je range la malle et son contenu dans un coin.

Le reste de la semaine, puis du mois, se passe sans que j’y retouche. Un vase vient même, au bout de quelque temps, orner le couvercle. Un livre et un second échouent à leur tour à côté du vase. La poussière aussi…

J’oublie complètement l’oncle Louis, cette histoire. Même ce que contient la malle sort de ma tête. Je me plonge dans mes études. Le mois de novembre passe… Grande lectrice, plusieurs nouveaux livres débarquent à leur tour sur le couvercle.

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