MARJOLAINE PAUCHET

Jurançon, le 26 août 2018

À l’attention de Monsieur Victor Hugo Monsieur Hugo,

    Sans doute serez-vous surpris de recevoir ma lettre. J’ai ressenti le besoin de vous écrire pour vous dire toute mon admiration aux combats que vous avez mené, défendu, à la façon dont vous avez vécu. J’ai tant de choses à vous dire, de questions à vous poser. Ce n’est pas tous les jours que j’écris à une des plus belles âmes qui ait porté son regard sur le monde, l’ait critiqué avec tant de justesse…

    Dans votre tombeau, ne vous retournez-vous pas de voir l’humanité courir à son glas ? Vous qui avez prêché tout avant l’heure, contre la colonisation, la peine de mort, la corrida ou bien encore la vivisection. En votre dernier souffle, êtes-vous parti serein ? Plein d’espoir pour l’aube qui s’annonçait vide de vous, mais encombrée du reste ?

    Que diriez-vous de voir votre Gavroche, que chacun espérait mortel et mort, que diriez-vous de le voir tel un sinistre phénix, renaître pour mieux rejouer chaque jour ses derniers jours de condamné, encore et encore, toujours abattu à la manière sournoise de cette société schizophrène qui frappe en même temps qu’elle crie au scandale et à la pitié !

    Et votre Fantine, elle aussi toujours vivante plus de cent ans après !

    Que diriez-vous de voir que cent trente-trois ans après votre décès, vos luttes, vos espoirs ont si peu avancé ! N’ajouteriez-vous pas un petit préfixe dérisoire devant le mot espoir ?

    Réveillez-vous ! Réveillez-vous ! Réveillez-nous ! Venez nous apprendre, nous redire, que la conscience n’est pas une histoire à brader !

    Que diriez-vous à mettre les pieds dans notre siècle qui en a plus d’un « d’avance » sur le vôtre ? À voir qu’on torture encore dans les arènes des taureaux ! Combien de consciences y passent à chaque fois ? Six ? Mille ? Quand la foule vampire s’exalte des flots de sang, des cris de douleur, la conscience de toutes ces créatures humaines n’est-elle pas torturée aussi bien que celle des taureaux ? M’objecterez-vous que ces créatures-là sont peut-être les seules à être dépourvues de ce quelque chose en plus à la matière, de cette étincelle mystique qui naît dans les entrelacs de nos neurones, la conscience ?

    Et les scalpels qui toutes les six secondes prennent une vie dans les confins d’un laboratoire, les aviez-vous imaginés perdurer plus de cent ans encore ?

    Quand je vois ces chimères humaines qui prennent les Gavroche, les taureaux et tous les autres, non, ne vous réveillez pas ! Vous en pleureriez !

    Laissez-nous ! C’est le repos du guerrier ! Celui qui combat sans jamais faire tonner le feu, sans jamais verser de sang, celui qui combat avec pour seules armes la grandeur et la dignité de la vie et sa volonté à les faire triompher, celui-là est le plus grand des guerriers, le seul qui mérite grâce à mes yeux.

    Saviez-vous que certains peuples premiers pensent que quand on admire une qualité chez un autre être vivant, humain ou non humain, il faut manger la partie de son corps responsable de cette qualité afin de se l’approprier ? À votre mort, il aurait fallu, à chaque membre de l’humanité, donner à manger un bout de votre cœur, un bout de votre cerveau. Et s’il n’y en avait pas eu assez, on aurait toujours pu en donner qu’aux Français, cela aurait déjà été beaucoup ! Tant de choses différentes si chacun de nous avait porté un peu de Victor Hugo en lui ! Pardonnez-moi, Grand Sage, Grande Âme, de vouloir ainsi vous dévorer le cœur ! C’est que je crois, sans être portée sur ce genre de nourriture, que l’humanité ne s’en porterait que mieux. Quant à moi, en tant qu’écrivaine, je n’ai pas la prétention de vous arriver au nombril, en tant que poétesse, je n’ai pas la prétention de vous arriver à la cheville, mais s’il se pouvait, un peu, que de ma plume, je vous chatouille l’orteil, que je le sente frémir à mes mots… Cela me ravirait pour mille ans !

    Grand Victor Hugo, Grand poète disparu, Grande Âme, que pensez-vous de votre au-delà auquel je ne crois pas, devant cette humanité qui court à son glas ? J’attends avec impatience ce glas autant qu’il me fait frémir. Frémir car humaine je suis et donc, avec les autres, dans les charniers je serai ; impatience car humaine je suis et que j’ai fini par acquérir la douloureuse certitude que c’est à ce prix seul que le reste du monde vivant, enfin, aura la paix.

    Très cher Victor Hugo, vos idées, vos idéaux, vos combats, fourmillent en moi, résonnent dans mes cellules, vifs, sonnent dans mes oreilles, à me sentir à travers cent trente-trois ans, de zèbre à zèbre, plus proche de vous qu’avec mon propre frère, mon propre père.

    Très cher Victor Hugo, exilé de l’humanité, reposez-vous, surtout ne rouvrez pas les yeux, les images qui viendraient heurter vos pupilles vous feraient mal, ne libérez pas vos tympans de la caisse qui vous enferme et vous protège des bruits extérieurs, ils vous assourdiraient. Pour ma part, je vous remercie du fond du cœur, du fond de mon âme, d’avoir existé, d’avoir vécu, d’avoir crié.

    Amitié sincère,

Marjolaine Pauchet

Photo de Victor Hugo

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