Résumé : L’histoire se passe de nos jours… Les dieux grecs, lassés d’être relégués au rang de mythes souhaitent reprendre leur place. Et cela d’autant plus qu’ils soupçonnent le dieu unique d’être un des leurs qui les aurait trahi pour régner seul. Mais il leur cache soigneusement son identité et même après plus de deux mille ans, ils ignorent de qui il s’agit. Ils mandatent donc deux mortels pour les aider à identifier le traître et à reprendre leur place…
Genre : Fantastique
Tome 1 du Mythe olympien
Le livre, mes chers lecteurs sort dans quelques semaines alors en attendant, je vous propose une petite mise en bouche, le prélude et le chapitre 1…
Dans les prémices de l’Histoire, lors que les êtres humains étaient des créatures insignifiantes, ils vénéraient des divinités qui changeaient de noms au fil des âges et des civilisations. Les anciens Grecs nommèrent ces divinités les Titans.
Ils se mirent, quant à eux, à vénérer leurs successeurs qu’on nomme encore aujourd’hui les dieux grecs. Mais, environ mille deux cents ans avant que naisse Jésus de Nazareth, une nouvelle religion se fit jour, une religion dont les fidèles, encore aujourd’hui, ne vénéraient qu’un seul dieu. Cette religion est le judaïsme.
Plus tard, le nommé Jésus de Nazareth, adepte du Dieu unique, se fit prophète, créant à son tour une nouvelle religion, le christianisme.
Les dieux grecs, quant à eux, étaient toujours vénérés par les Romains qui avaient changé leurs noms.
En l’an de grâce 313, l’empereur Constantin Ier accorde aux chrétiens le droit de pratiquer leur culte. En 321, il est considéré en fidèle de Jéhovah. En 330, sa cour se convertit à son tour.
Dès lors, peu à peu, le culte des anciens Grecs est relégué au rang de mythe et les anciens dieux ne sont plus vénérés…
1. L’armée du jour unique
Neuvième jour du onzième mois de l’an de grâce 1111 du calendrier julien.
Quelque part dans le sud-est de l’Europe.
Deux jeunes femmes, chacune dissimulée sous une cape, l’une couleur du jour, l’autre de la nuit, se hâtent dans la lande.
« Perséphone*[1], dépêche-toi ! S’Il nous voit, tout est perdu. »
À ces mots, l’épouse d’Hadès* soupire et presse encore le pas.
Comment pourrait-Il ne pas les voir ? Il a acquis tant de puissance ces derniers siècles que tout espoir semble vain.
Le temps est glacial, les gelées matinales s’attardent, on se croirait déjà en janvier. L’hiver sera rude, l’hiver sera long. Tout est blanc.
Quelques masures desquelles s’échappe une fumée, elle aussi de la couleur de la neige. Par ce froid et par cette heure, il y a encore peu de paysans dehors. Les bêtes sont rentrées dans les étables. S’Il jette son regard sur ce bout de terre, Il ne verra qu’elles.
— Maudit Borée* ! Je jurerais qu’il nous a trahies pour être si cruel !
— Tais-toi donc et avance. S’Il nous entend et que nous sommes découvertes par ta faute, ce sera toi la traîtresse. Borée fait son devoir.
— Tu aurais pu en appeler à Hélios*. La marche aurait été moins rude.
— Notre marche n’a pas à être douce, c’est un sauvetage. Hélios en novembre. Tu n’y penses pas ! Ne sois pas sotte. Nous devons être discrètes, pas attirer les regards sur nous. À présent, tais-toi.
Perséphone ne releva pas l’insulte. Plus encore que le froid ou la rudesse de sa compagne de route à son égard, ce qu’on attendait d’elle la travaillait. Les objections d’Éos* étaient des évidences et ses propres plaintes n’avaient pour seule vocation que d’être des dérivatifs à ses angoisses. Dérivatifs maigres et vite balayés par Éos, certes, mais dérivatifs tout de même.
Depuis qu’Hadès ne régnait plus sur les Enfers*, mais était emprisonné avec les autres dieux majeurs dans le Tartare*, elle n’était plus descendue dans le monde souterrain. Ses nouveaux maîtres la terrifiaient. Et on attendait d’elle, elle qui connaissait par cœur le royaume des morts et y était connue de tous, qu’elle s’y fraie un chemin incognito avec Éos et délivre son époux et les autres dieux. Mais comment ? Et comment l’aurore de qui naît la lumière en ce monde pourrait-elle passer inaperçue dans le royaume de l’ombre ?
Leurs pas, à la fois rapides et réguliers, martelaient le sol, semblaient donner sa cadence au vent.
Perséphone pesta à nouveau contre Borée qui mettait bien trop de cœur à l’ouvrage à son goût. Alors même que sa protestation n’était pas achevée, un léger bruit provenant de l’orée du bois tout proche se fit entendre. Elles sursautèrent et se retournèrent dans un même mouvement.
Des loups les miraient, affamés déjà par la cruauté de la saison qui pourtant ne faisait que commencer. Leurs yeux d’or ne se laissaient ébranler d’aucune rafale, même quand Borée semblait vouloir chanter à leur place. Ils transperçaient la distance qui les séparait des deux jeunes femmes et les absorbaient comme s’ils avaient été à leurs pieds. Leurs corps tendus qui se devinaient à peine dans les fourrés étaient prêts à s’élancer. Des têtes immobiles qui fixaient la pâture prochaine, une langue sortait parfois, passant avec entrain sur les babines.
Perséphone et Éos prirent leurs jambes à leur cou. Il y avait des kilomètres encore à parcourir, par les champs, par la forêt. Nul abri ne se présentait à leur vue ou à leur mémoire. Derrière elles, les pattes des loups pilonnaient le sol sans faillir et avec la plus grande ardeur. Elles accélérèrent de plus belle et regrettèrent de ne pouvoir en appeler à Artémis* pour calmer les animaux. Elles pénétrèrent dans une nouvelle forêt. Les arbres, les fougères, les branches cassées et les racines sortant du sol ralentissaient leur course sans amoindrir celle des loups. Perséphone et Éos se voyaient déjà dévorées, leur mission achevée avant même d’avoir commencé. Elles aperçurent un logis dans une petite clairière.
« Ouvrez ! crièrent-elles bien avant d’y être. Ouvrez ! »
Un volet s’entrebâilla, puis la porte se déverrouilla prestement. Les deux femmes coururent droit dessus avant de refermer derrière elles.
Le souffle coupé par l’effort et la peur, elles mirent du temps à pouvoir articuler un mot.
— Que font deux jeunes femmes avec d’aussi belles capes d’aussi bon matin par la lande ? demanda celui qui leur avait ouvert.
Éos qui à l’évidence reprenait son souffle plus vite que Perséphone remarqua que l’homme en question portait un habit clérical et songea à l’ironie de la situation, aussi bien qu’à sa dangerosité.
— Vous n’avez rien à craindre de nous, monsieur, nous rejoignons de la famille à quelques hameaux d’ici. Nous vous savons gré de nous avoir ouvert.
— Vous êtes donc seules sur les chemins ?
— … Si on excepte la compagnie des loups… répondit Perséphone avec une pointe de sarcasme dans la voix.
— En ce cas, demoiselles, puisque vous me devez la vie, il serait normal que vous m’en remerciiez convenablement.
Son ton, son regard, son sourire en coin trahissait la lubricité de son idée. Les loups d’un côté, cet homme de l’autre, Éos en eut un haut-le-cœur.
— Prêtre de Celui qui règne seul, nous repartirons sitôt le danger écarté. Ne te mets pas à dos le mari de celle que tu vois ni ses parents, dit-elle en désignant Perséphone. Ton sort serait scellé.
L’homme fut surpris autant par la façon dont il avait été appelé que par la mise en garde qui lui était faite. Il revint à des pensées plus saines et ne fit plus ni allusions ni gestes inopportuns. Au contraire, prenant dès lors ses visiteuses pour deux riches étrangères voyageant dans l’anonymat, il fit preuve d’une prévenance obséquieuse à leur égard. Il avait déduit de ces paroles que Perséphone devait appartenir à une puissante famille qui venait de la marier à un homme de haut rang qu’elle s’en allait rejoindre avec sa chaperonne. Pourquoi étaient-elles à pied et sans escorte ? Pourquoi son mari n’était-il pas allé la chercher ? Il ne lui appartenait guère de le savoir. Mais peut-être, s’il les traitait assez bien, glisseraient-elles pour lui un mot qui l’élèverait dans la hiérarchie ecclésiastique. Aussi ne ménagea-t-il pas sa peine.
Le logis était petit et sombre, quoiqu’Éos, sans le vouloir, y faisait pénétrer de la lumière. Elle craignait que le prêtre ne s’en aperçoive, mais tout à ses attentions, il ne se rendit compte de rien.
Le mobilier était minimal. Une paillasse dont sortait une odeur de moisi malgré le froid, une table, un coffre tout juste orné en guise de banc.
Une seule chandelle éclairait la pièce qui constituait l’entièreté du logis.
Il leur proposa de se reposer sur sa paillasse le temps qu’elles voudraient. Elles refusèrent. La tête toujours plus basse, la voix toujours plus suave et avilie, une main frottant avec intérêt les phalanges recourbées de l’autre, il ne cessa pas ses aimables propositions. De l’eau fraîche du puits, une demi-miche de pain, une cuillère de gras de bœuf et même un morceau de viande séchée. Rien n’intéressait Éos et Perséphone qui déclinèrent tout.
C’est alors que Perséphone se souvint de ce sur quoi elle était assise.
— Nous voulons bien de votre sel.
— Mon sel ? reprit-il aussi surpris qu’inquiet.
— Oui, c’est ça. Votre sel.
Éos ne comprit pas davantage la requête, mais renchérit :
— Dans ce coffre, vous avez bien du sel. À moins que vous ne préfériez qu’on dise à son mari que…
— Mais non, voyons ! Mais non, mais non. Prenez tout ce qu’il vous faut. Je vous en prie. Je serai heureux de vous aider à rejoindre monsieur votre aimable mari de quelque façon que ce soit.
— Bien, fit Perséphone en se levant. Je crois que les loups sont partis à présent. Nous avons déjà abusé de votre hospitalité trop longtemps.
— Mais non, voyons. Accueillir ainsi de nobles dames est un honneur.
Éos se leva à son tour, le prêtre ouvrit le coffre et en saisit une bourse de sel qu’il tendit à Perséphone dans une grotesque révérence.
Elles se retinrent d’éclater de rire. Cependant, Perséphone aperçut d’autres bourses dans le coffre et en demanda une seconde. L’homme fit une moue de dépit, puis s’exécuta. Après quoi, elles le quittèrent.
Quelques pas dans la clairière plus tard, Éos fit remarquer que les loups ne devaient pas être loin.
— Tout à l’heure, tu me pressais pour que nous arrivions à temps et là, tu aurais voulu rester avec cet immonde personnage ?
— Tu as raison. Toutefois, il me paraît plus simplet que dangereux.
— Il vénère le traître. Si quoi que ce soit Lui revient aux oreilles, nous sommes perdues.
— Tous les mortels ici vénèrent le traître. Son aide nous a sauvé la vie.
— Qui est-ce d’après toi ?
— Comment veux-tu que je connaisse le nom de ce prêtre ?
— Pas le prêtre ! Qu’ai-je à faire du nom d’un mortel ? Je parle du traître.
— Si je le savais…
Le reste de la journée se passa sans plus croiser ni mortels ni bêtes, et elles s’installèrent pour la nuit dans le creux laissé par les racines d’un arbre mort.
Perséphone se réveilla en sursaut, persuadée qu’on les surveillait. Éos ne put l’en faire démordre et elles se remirent en route malgré le froid, la fatigue et l’obscurité qui enveloppait tout.
Éos s’arrêta à l’orée de la forêt. La lune, à moitié remplie, dominait le ciel. Partout, un voile nuageux, qui ne comptait qu’un seul trou par où apparaissait l’astre. Séléné* les verrait à coup sûr. Peut-être cette percée était-elle d’ailleurs là pour ça. De quel côté était-elle ? Du leur ou de celui du traître ? Impossible de le savoir, impossible de lui faire confiance.
Éos voulut connaître l’heure qu’il était. Bientôt, elle apporterait sa clarté au monde et personne ne pourrait rien soupçonner. Mais le temps n’était pas encore venu, il était encore à la nuit. Euros* souffla avec une douceur qui ne lui était pas habituelle, fermant ainsi les nuages sans transir la plaine plus que de raison.
La nuit s’acheva, la lumière crût et la journée nouvelle se déroula dans la monotonie de la marche.
Enfin, alors que l’après-midi s’achevait et voyait déjà grandir l’ombre, Éos et Perséphone arrivèrent à destination : l’entrée discrète d’une grotte, à peine assez grande pour laisser passer un chien. D’après Perséphone, une des ouvertures secrètes des Enfers.
— Crois-tu qu’Il se doute de quelque chose ?
— Il serait déjà là si tel était le cas. Nous allons passer la nuit ici. Demain, dès que j’allumerai le monde, tu en profiteras pour descendre aux Enfers et tu…
— Comment ça, je ? Tu ne viens pas avec moi ?
— Je suis l’aurore, comment pourrais-je passer inaperçue dans le royaume des morts ?
— Je n’y arriverai pas seule !
— Bien sûr que si !… Et de toute façon, tu n’as pas le choix.
Perséphone fulminait. Autant la présence d’Éos dans ce lieu de toute obscurité les aurait perdues, autant l’idée de traverser seule le royaume de son époux déchu la tétanisait.
11 novembre 1111, peu avant l’aube.
Les deux femmes étaient debout devant l’entrée de la caverne, angoissées chacune par sa mission, attendant l’heure, n’osant briser le silence de peur de précipiter le temps vers son accomplissement.
Éos, enfin, se décida.
— Plus que quelques instants. Hélios va commencer sa course sur son char et moi je ferai lever la nuit. Alors, l’armée du jour unique se dressera jusqu’à ce soir et Il sera occupé à les tenir. Ce sera le meilleur moment pour toi d’agir.
— Je sais tout ça autant que toi.
— Ça m’aide de le redire… Et toi, me confieras-tu enfin pourquoi tu as pris ce sel ?
— Les satyres* détestent le sel. Ils le fuient comme la peste.
Éos esquissa un léger sourire d’assentiment. À ce moment-là, Hélios commença à poindre. Elle ouvrit les bras en grand, paumes tournées vers le ciel et l’aurore se fit.
Les deux femmes se regardèrent droit dans les yeux, puis Perséphone entra dans les Enfers.
Éos lui rappela juste d’être revenue avant la fin du jour. Il était trop tard, le voile invisible qui séparait les deux mondes était franchi, Perséphone n’entendait plus.
[1]. Les noms marqués d’un astérisque renvoient à une entrée dans le lexique de fin.
© Marjolaine Pauchet