MARJOLAINE PAUCHET

Marjolaine PAUCHET

Genre : Nouvelle fantastique

Copyright Marjolaine Pauchet

explosion

Élora

La fin du monde venait d’avoir lieu. Cela, Elora en avait bien conscience. Tout autour d’elle était noir, glacé. Pas d’étoiles dans le ciel, rien.

Le noir.

Elora n’avait pas froid.

Elle sentait le sol sous ses pieds, l’air givré pénétrer son nez, sa gorge et ses poumons sans qu’il ne lui en résulte aucune gêne ni aucune douleur.

La fin du monde venait d’avoir lieu, mais pas celle d’Elora. C’était à ni rien comprendre, absolument rien.

Le chat du voisin, toujours à se frotter partout, toujours chez elle, s’était précipité sous un meuble, comme pris d’une terreur subite et inconnue. Elora l’avait vu filer, interdite, puis un long miaulement plaintif comme s’il faisait face à un danger qu’il ne pouvait éviter.

Alors il y eu un éclat de lumière aveuglant, venu de l’horizon et un souffle puissant, vibrant, avait parcouru le monde. Le noir vint, glacé. Elora était restée là, immobile, le souffle ne l’avait pas emportée.

La fin du monde venait d’avoir lieu. Cela, Elora en avait bien conscience. Le silence était tout aussi violent que le noir.

D’où étaient venus la lumière et le vent herculéen ? Elle l’ignorait. Pourquoi cette conviction de la Fin ? Elle l’ignorait. Pourquoi ne ressentait-elle rien, du froid, de la peur ou de tout autre chose ? Elle l’ignorait.

Dans son appartement, elle avança à tâtons. Elle s’attendait à trouver des débris partout. Mais il n’y en eu aucun. Ni meuble renversé ou cassé, ni bris de verre.

Elle se dirigea vers l’interrupteur qu’elle savait le plus proche. Après dix pas de trop dans la bonne direction, elle dut se résoudre à la perspective que le mur n’était plus là. Elle songea alors à la boîte d’allumettes dans la cuisine et s’y dirigea. Ses yeux ne voyaient rien. Cependant elle était chez elle et connaissait l’emplacement de tout par cœur. Elle arriva là où devait normalement se situer la cuisine. Quoique là-encore les murs eussent disparu, certains meubles étaient toujours en place. Pourquoi ? Elle l’ignorait.

Elle chercha la boîte, la trouva. Elle était à moitié pleine. Les allumettes, une à une furent craquées jusqu’à ce qu’il n’en reste que cinq. Aucune cependant ne produisit la moindre étincelle ni le moindre son.

La fin du monde venait d’avoir lieu et le feu n’existait plus. S’il en avait été autrement, les étoiles dans le ciel ne brilleraient-elles pas ?

Elora ne sut que faire. Elle mit la boîte dans sa poche, soupira puis ferma les yeux.
Elle ne les rouvrit pas. Elle attendait. Quoi ? Elle l’ignorait. Que la mort la prenne, que la rafale, s’apercevant qu’elle avait oublié quelqu’un fasse demi-tour et l’emporte, que la lumière revienne, que le réveil sonna. Tout évènement, elle l’eut accueilli. Elle attendait. Rien ne vint. Ni réveil, elle était déjà réveillée, ni lumière, elle l’aurait vu à travers ses paupières. Rien.

Elle était en vie, réveillée et rouvrit donc les yeux. Elle entendit son cœur battre, le sang couler dans chacune de ses veines, comme si elle faisait partie du monde et que c’étaient-là des bruits comme les autres. Mais le monde avait pris fin.

Le monde avait pris fin mais pas elle. Elle était donc devenue le monde, le seul qui exista encore. À ce titre elle était consciente d’elle-même. D’où venaient alors le froid qui la pénétrait à chaque respiration, le sol sous ses pieds ou les allumettes ? Elle l’ignorait.

Le monde avait pris fin. Et maintenant Elora était le monde. Cela c’est ce qu’elle venait de comprendre.

Expérimentait-elle la mort ? L’idée ne lui vint pas. Elle respirait, elle vivait. Qu’étaient devenues les milliards de milliards d’autres existences qui avaient peuplé le monde ? Elle l’ignorait.

Une légère brise la traversa et l’ébranla plus que le souffle de la Fin. Elle entreprit alors, malgré l’obscurité absolue de quitter l’immeuble. Elle était au quatrième étage. Du bout des pieds, elle chercha la limite du sol. Enfin, elle s’agenouilla, fureta avec les bras pour repérer les marches. Celles-ci n’avaient pas disparu et elle parvint à les trouver. Combien de temps cela lui avait-il pris ? Puisqu’il n’y avait plus de monde, il n’y avait plus de temps.

Elle descendit et erra dans la ville déserte, bras en avant pour éviter les obstacles. Le vent herculéen n’avait pas tout emporté. Là où quelque chose avait été, s’il n’y était plus, il n’y avait rien, Elora ne découvrait jamais de débris ou de ruine.

Telle avenue était à présent de terre battue, à l’emplacement de tel immeuble ou de tel monument se trouvait le néant quand celui d’à côté était encore là, soit presque complet, soit qu’un mur ou deux seulement se dressaient encore.

Elora avançait, se guidant toujours de ses mains, faisant chaque fois le tour de ce qui se présentait à elle pour en connaître le nouveau périmètre, la nouvelle taille  et tenter de se repérer. Elle poursuivit ainsi son exploration, sans faim, sans froid, sans peur, puis s’arrêta. Quoiqu’il n’y eu plus de temps, il lui semblait que cela faisait une éternité que le monde s’était achevé. Elle s’assit donc et pour la première fois depuis la Fin, elle tenta de réfléchir pleinement à la situation. Jusqu’ici elle n’était allée que de constat en attente, d’un évènement, de quelque chose, comme si elle n’avait pas vraiment rouvert les yeux depuis la dernière fois. Pouvaient-ils être encore fermés ? Le noir absolu qui l’enveloppait l’induisait-il en erreur ?

Machinalement, elle porta le doigt à un œil bien qu’elle le sentit ouvert. Sous la pulpe de l’index, elle trouva sa cornée. La toucher lui fit mal. C’était là sa première douleur postérieure au souffle qui avait balayé la Terre. Elle le réalisa et recommença deux fois. Non par masochisme, mais par besoin de recueillir une sensation qui ne se limita pas à la simple perception de son environnement immédiat.
Ce besoin irrépressible lui fit prendre conscience de la solitude qui pesait sur elle.
Elle ne ressentait pas l’envie de parler, mais l’absence de tout autre être vivant lui devint soudain intolérable.

Dans le noir infini, elle distingua alors une lueur. Faible, d’abord vacillante, de la taille d’un insecte à quelques centaines de mètres devant elle. Rapidement, tout redevint ténèbres. Mais face à l’obscurité, Elora s’acharna.

Elle se dirigea vers l’endroit d’où était venue la lumière. Arrivée suffisamment près du lieu présumé, elle demanda si quelqu’un était là. Les premiers mots qu’elle prononça depuis que le monde avait pris fin. À sa question ne répondit que le silence. Elle s’agenouilla et chercha à tâtons ce qui aurait pu être à l’origine de cette vision. Elle finit par trouver un vieux tronc d’arbre mort allongé sur le sol. Du moins lui semblait-il que s’en était un. Pouvait-il être la cause de ce qu’elle avait aperçu ?

Elora sortit les allumettes de sa poche et en craqua une. Une étincelle se fit qui ne dura pas. Elle chercha des brindilles, n’importe quoi qui aurait pu prendre feu, mais ne décela rien.

Rien de vivant ne subsistait, pas même des brindilles, elle le savait. Le souffle avait emporté toutes les existences sauf la sienne. Elle résolu de partir dans ce qui restait de la ville à la recherche de journaux, de papier, de tout ce qui brûla. Elle retrouva les bâtiments presque intacts dont elle avait fait le tour sans entrer dedans. Cette fois, elle s’y introduisit, explora, fouilla, inspecta, retourna le moindre objet. N’importe quel inflammable, elle devait le découvrir.
Enfin, dans le tiroir d’un bureau resté là, comme abandonné, elle sentit sous ses doigts des feuilles de papier. Elle les prit, repartit là où elle avait trouvé le tronc d’arbre, chiffonna les feuilles et craqua une nouvelle allumette. Une étincelle se fit puis une légère flamme. Vivement elle en approcha le papier.

L’obscurité fut brisée.

Le feu était là.

Elle tenta d’allumer le tronc, mais en vain. La flamme, quoique se fut sans doute la plus belle chose qu’Elora n’avait jamais vue était trop petite pour un tel morceau de bois. Elle contempla la source de lumière dansante. Devant cette presque vie, Elora se sentit moins seule. À portée de lumière, elle ne discernait rien, le sol était nu. Seul se dessinait le flanc du vieil arbre couché.
Le papier, entièrement consumé s’éteignit. Le noir redevint total.

Elle prit sa tête dans ses mains. Elle hésitait à utiliser une nouvelle allumette. Elle devait se faire à l’ombre universelle qui la pénétrait. Cependant, maintenant qu’elle avait goûté au feu, elle commençait à ressentir la morsure du froid. C’était la deuxième douleur qu’elle éprouvait depuis la Fin. Mais ce froid était dangereux. Elle était le monde et puisqu’elle était le monde, si ce froid la tuait, le monde mourrait. De tous les immeubles encore là qu’elle avait effleuré, aucun ne possédait plus de vitre. Rien n’était complètement clos. Dans ce dédale sans logique que le souffle avait laissé derrière lui, Elora pouvait aller et venir à sa guise, le froid aussi.

La seule solution était d’entasser les couches de vêtements. Il lui fallait repartir en quête. Ce qu’elle fit. Dans un des édifices visités, elle trouva une tringle dans une armoire. Elle la décrocha et s’en servit comme canne blanche. Dans un autre, elle trouva une couverture. Elle s’enveloppa dedans et reprit ses recherches. C’est alors que dans le lointain, une horloge sonna. Elle leva la tête. Elle sortit aussi précipitamment qu’elle le pu. Elle ne vit rien. Le bruit avait cessé. Il s’était arrêté bien avant qu’elle n’arrive dehors. Quand elle y fut, elle soupira et leva les yeux. Une étoile, seule tache de couleur qui perçait le noir universel, scintillait.

Elora était le monde. Quand elle avait allumé cette flamme, elle avait réchauffé le temps. Et le temps avait repris. Se faisant, il avait rendu à nouveau possible les réactions en chaîne qui font la vie des astres de lumière.

Mais Elora ne pouvait davantage profiter de ce scintillement. Il lui fallait repartir à la recherche de tout ce qui aurait pu lui tenir chaud. Au fil des heures, tandis qu’elle trouvait là des chaussettes, là un pull, point après point, le ciel se mouchetait. Pourtant, la lumière ne revenait pas, le soleil, comme le reste du monde, n’était plus.

Chaque fois qu’Elora découvrait de quoi brûler, elle le ramassait. Lorsqu’elle en avait suffisamment, elle emmenait l’ensemble au tronc d’arbre. Elle voulait que la prochaine allumette donne un brasier. En attendant, elle continuait à tout fouiller en quête de vêtements d’hiver. La couverture la gênait, mais le froid glacial était si terrible à supporter qu’elle ne pouvait s’en défaire. Elle avait fini par trouver un manteau de printemps, mais rien d’assez épais. Bien que rares, les objets inflammables étaient plus faciles à trouver que les vêtements. De sorte qu’enfin, il y eu de quoi faire un grand feu. Comme elle était toujours à fureter avec la couverture sur la tête, elle était toujours courbée ou agenouillée. Quand elle se remit debout, dans cette maison sans charpente et à la moitié des murs disparus, elle vit la voûte céleste qui brillait des milles feux qui s’y étaient allumés.

Dans cet univers de ténèbres où l’arrière ressemblait à l’avant, à la gauche et à la droite, les étoiles dessinaient une dimension, elles déterminaient le dessus. Comme un toit posé sur le monde.

Elle se dirigea vers le tronc d’arbre. Lorsque la flamme minuscule se fit au bout du bâtonnet et qu’Elora la porta à un papier, la lumière soudaine l’aveugla. Elle était restée si longtemps dans l’obscurité que ses yeux ne savaient plus voir. Elle tourna le dos au brasier pour s’accoutumer plus aisément. Les combustibles étaient divers et variés ce qui permit à la presque vie de durer.
À proximité du feu, Elora se réchauffait enfin. De fines braises incandescentes, plus légères que l’air virevoltaient autour du foyer avant de s’envoler. Elles s’élevaient, toujours plus haut pour prendre racine dans le ciel et s’y entremêler peu à peu. Au fur et à mesure que leur nombre croissait et que l’assemblage gagnait en consistance, une clarté nouvelle enveloppait le monde.
Elora comprit alors que c’était d’elle que tout cela provenait.

Le monde avait pris fin et Elora était devenue le monde. Aussi, quand elle soupira en fermant les yeux, elle avait fait naître la brise qui quelques instants plus tard l’avait traversée. Lorsqu’elle s’était sentie si seule, une lueur, comme la signature d’une autre présence était apparue. Elle en avait fait du feu, cette presque vie, qui avait permis le temps et les étoiles. En allumant ce brasier, elle avait, sans le savoir, rendu possible la formation d’un nouveau soleil qui illuminait le monde. Tandis qu’elle se faisait cette réflexion, la fumée s’élevait et propageait sa généreuse chaleur sur toute chose.

Désormais, elle voyait. L’immensité vide n’était brisée que par les silhouettes grises des bâtiments amoindris de la ville. Au-delà, ne subsistait rien.

Le monde n’était plus obscurité, il n’était plus gelé et elle commençait à sentir le besoin de laisser tomber la couverture, le manteau et le pull.

Lorsqu’il fit complètement jour, elle se leva et, laissant là sa canne blanche, elle partit en exploration. La température était douce, la lumière s’était faite, mais partout où elle posait les yeux, il n’y avait que vide. Dans le noir, sous ses doigts, il lui semblait parfois reconnaître certains bâtiments. À présent, elle ne reconnaissait plus rien. Reprenant sa marche dans la ville, elle réalisait que plus des trois quarts de ce qui avait été avant la Fin n’existait plus.

Plus aucune enseigne ni aucun poteau de quelque nature que ce soit.  Dans les rues désertes, les édifices qu’elle explorait, les magasins, rien qui ne faisait appel à l’électricité. Tout avait était balayé par le souffle. De même, son regard lui confirmait que le verre n’existait plus. Certains immeubles ne possédaient plus qu’un mur et le plancher de l’étage attenant.
Pas un arbre, pas un brin d’herbe ne s’offrait à sa vue, pas un chant d’oiseau à son oreille. La solitude la reprit douloureusement.

Elle appelait, aussi fort qu’elle pouvait à travers l’horizon sans fin, allait à divers endroits et appelait encore. Toujours il n’y avait que le silence. Pas un bruit, pas un son, pas âme qui vive à part elle-même.

Il lui vint l’idée de creuser le sol pour savoir si des animaux ou des graines y avaient survécu. Elle s’agenouilla, gratta, excava, fouilla à main nues, mais ne trouva rien. Elle fit plusieurs trous, mais le résultat était toujours le même.

Dans ce nouveau monde en train de naître, la vie n’était pas encore apparue.

Elora restait seule.

Elora était seule. Complètement seule.

Si elle était l’origine de toute chose, comment devait-elle s’y prendre pour faire apparaître la vie ? Cette question, à présent, la taraudait. Le tronc d’arbre à partir duquel elle avait fait un brasier fut un être vivant autrefois. Sans doute mort et tombé avant la Fin, mais il l’avait été. De même que les brindilles de bois composant les allumettes et les autres objets en bois qu’elle avait pu trouver. C’était donc que des restes de ces vies éteintes avaient pu perdurer. Elle repartit dans les bâtiments à la recherche de légumes ou de tubercules. Elle ne trouva rien. Tôt ou tard pourtant elle aurait faim et il lui faudrait manger.

Elle résolu de s’éloigner une bonne fois pour toute de la ville. Elle sentait que la suite ne s’y ferait pas. Elle retourna auprès du tronc d’arbre encore fumant, mit les vêtements qu’elle s’était ôtés dans la couverture, en fit un balluchon et parti. Sa marche dura de nombreuses heures. Elle s’attendait à ce que la lumière décline, que la nuit tombe mais le jour demeurait, imperturbable, comme avait demeuré l’obscurité avant lui. N’y aurait-il plus jamais de nuit ? Elle l’ignorait.

Cependant, alors qu’elle poursuivait son chemin, la fatigue commença à la gagner. Elora n’avait pas dormi et n’en avait pas ressenti le besoin depuis que le monde avait pris fin. Elle ne s’était pas reposée, tout juste c’était elle assise, quelques fois, pour réfléchir et puis devant le feu pour se réchauffer. Constatant que la lumière se faisait, elle était restée là, attendant la douce et légère clarté de l’aurore. Elle avait alors repris et ne c’était plus posée.

Maintenant, elle sentait le poids de la Fin s’abattre sur elle. Lassitude et épuisement la gagnaient. Chaque pas était lourd, harassant. Elle continuait pourtant d’avancer, comme poussée vers une destination inconnue. Elle marchait sans but, sans savoir pourquoi.

Dans les moments qui suivirent le vent herculéen, ses premières réactions avaient été machinales. Elle avait agi sans réflexion, sans conscience. Peu à peu, sa pleine lucidité était revenue. Cette fois, c’était la fatigue qui lui ôtait sa pensée. Tel un automate elle allait droit devant. Après encore une dizaine d’heures de marche, à bout de force, elle aperçut les restes d’une maison et s’y dirigea. Trois murs étaient encore là. Il n’y avait plus de toit, le sol était de terre. Dans un coin, elle se coucha, défit la couverture, s’enveloppa dedans et s’endormit.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la température était fraîche et il faisait nuit. D’abord, elle ne sut pas si la fin du monde avait bien eu lieu. Avait-elle vécu un rêve ? Puis la conviction lui revint. À mesure que son esprit s’éveillait complètement, l’aube apparaissait et l’atmosphère, peu à peu se réchauffait.

Elle était le monde et quand enfin elle avait cédé au sommeil, la nuit s’était faite. Quand elle s’était réveillée, le jour en avait fait autant.

Elle se leva, sortit de la maison et parcourut la terre du regard jusqu’à l’horizon. Au moment où elle était arrivée, l’épuisement l’avait déconnectée de toute chose et elle ne faisait plus attention à ce qui l’entourait. Elle était à présent reposée et alerte et contemplait le monde qui se créait autour d’elle et par elle. Presque tout était désert. Pas de barrière, pas d’arbre, pas d’herbe, pas de route, pas même de relief. Elle était en plaine. Cependant, elle réalisait que des collines et des rivières auraient dû apparaître à sa vue depuis longtemps quelle que fut la direction prise. Le souffle de la Fin avait-il aussi emporté les fleuves et les montagnes ?

Il est vrai qu’elle n’avait vu aucune goutte d’eau ni aucun nuage dans le ciel qui montra qu’il y eu encore de l’eau. Si le soleil et le temps n’avaient pas résisté à la Fin, était-ce étonnant ?

Elora ne comprenait toujours pas pourquoi certaines choses étaient demeurées et d’autres non. Pourquoi avait-elle survécu. Y avait-il seulement une raison autre que le pur hasard ? Au fur et à mesure de sa réflexion, il lui apparaissait de plus en plus évident que tout cela avait été purement aléatoire. De même, il apparaissait de plus en plus évident à sa vue que tout relief naturel avait disparu. Elle refit un baluchon avec la couverture et ses autres affaires et se remit en route. Elle avait décidé de marcher jusqu’à trouver une solution ou plutôt une réponse à l’absence de vie, d’eau, de montagnes.

Le quatrième jour, la température monta et marcher sans aucune forme d’ombre fut épuisant. Elle se résolu à chercher un abri pour la journée, un bâtiment dont il resterait le toit ou ce qu’elle trouverait. N’en rencontrant pas, elle fit une pause en plein soleil. Elle s’agenouilla pour souffler un peu, penchée sur le sol. De grosses gouttes de sueur perlèrent sur son front, tombèrent et s’évanouirent dans la terre. Après quelques instants, le soleil, trop ardent la força à repartir. Quelques heures après, la chaleur diminua. Le soir tombait. Suite à quoi, de la sueur qui s’était évaporée toute la journée du corps d’Elora, des nuages se formèrent. De celle qui était tombée, des rivières naquirent.

La pluie vint.

Elora, pour étancher sa soif qu’elle sentait enfin dansa sous la pluie tête vers le ciel, bouche ouverte. Ses émotions passées, épuisée, elle aurait voulu dormir là, mais l’averse qui s’était transformée en déluge l’en empêchait. Soudain, il y eu un grand tremblement. L’eau qui avait pénétré le sol l’avait éveillé comme le temps avait éveillé les étoiles. À présent, il se modelait. Des blocs se soulevaient, des endroits s’effondraient. Tout tremblait dans un fracas immense.

Elle perdit l’équilibre et tomba. Blessée aux mains, aux genoux et à la tête, elle perdit connaissance.

Quand elle revint à elle, il ne pleuvait plus, il faisait bon, il faisait jour et le monde avait cessé de trembler. Ses blessures, quoique légères, saignaient encore.  Mais le silence n’était pas revenu. Un bruit familier l’intriguait. Elle se releva.

Devant elle, s’étendait à perte de vue un océan.

Derrière elle, un fleuve qui descendait de montagnes lointaines s’y jetait.

Les vagues venaient se fracasser sur le sable jaune. Les embruns et quelques nuages blancs dans le ciel apportaient une fraîcheur agréable. Elle se dirigea vers le fleuve pour laver ses plaies et s’abreuver. Lorsque, pour boire, elle prit de l’eau dans ses mains jointes, du mariage de l’eau et de son sang naquit un alevin. Elle le regarda un instant, stupéfaite, puis le libéra. Du sang qui s’était diffusé dans le delta au moment où elle s’y était soignée, apparurent d’autres vies. Les jeunes poissons fourmillaient. Certains restaient là, d’autres nageaient vers la mer. Bientôt ils la peupleraient par milliers.

Après ces jours de marche interminable et sans but, elle résolu de passer la journée au bord de l’eau à se reposer. Tantôt elle allait rendre visite à l’océan, tantôt elle allait se baigner dans le fleuve. Quand revint le soir, là où Elora avait repris connaissance et où son sang avait coulé, un arbre avait poussé. Elle se coucha à son pied et s’endormit.

Au matin, tout autour de l’arbre et jusqu’à l’eau, une prairie était apparue. Plus loin vers les montagnes, une forêt immense avait pris vie. Mais Elora se sentait toujours seule. Comment l’arbre et les fleurs se reproduiraient-ils sans butineurs ? Comment supporterait-elle cette solitude extrême sans un autre être humain, un chien ou un chat ou tout autre animal qui lui aurait apporté réconfort et affection?

Elle prit la direction des montagnes en longeant le fleuve. Dans la forêt, naissant de la corolle bleue d’une fleur, elle vit un bourdon. Arrivée là où le long cours n’était qu’un torrent de montagne, elle se posa sur une rive et vit, entre des rochers, deux yeux qui la regardaient. Elle appela doucement, tendit la main et un renard au pelage roux magnifique et à la queue blanche en panache se montra. Ses iris d’or trahissaient son hésitation. Il vint sobrement lui lécher la main.

Elle se sentit revivre.

De joie, Elora pleura.

Une brise passa et emporta Elora.

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