MARJOLAINE PAUCHET

Marjolaine PAUCHET

Genre : Nouvelle à chute

Copyright Marjolaine Pauchet

Apprendre à marcher, c'est le sens de l'éducation

Histoire d'éducation

Florian et Nadège rêvent d’un enfant. Dans la glace, elle regarde son ventre qui ne veut pas s’arrondir. Amoureux, il vient dans son dos et l’enlace : la vie viendra, naîtra en son heure.
Mais la vie ne vient pas.
Florian est stérile.
Stérile…

Qu’importe au fond. La vie naîtra. Le choix se porte sur un donneur anonyme et Nadège commence le long processus pour produire des ovules, assez d’ovules pour que ce qui se fait en toute simplicité au creux du corps des autres femmes se fasse au sein d’une éprouvette pour elle.
Qu’importe au fond.

Quentin.
Enfin, au bout de longs mois, le rêve est là. Parfait. Dix doigts, dix orteils, quelques cheveux déjà. Quentin…
Désiré, aimé avant même sa venue au monde, avant même sa conception, Quentin grandit heureux, choyé par ses parents qui n’auront que lui. Sa maman, comblée, le regarde grandir, de l’amour dans les yeux.
« Cette fois, je saute deux marches. Regarde-moi, maman ! »
Et toujours, Nadège regarde, fière et inquiète, prête à se précipiter si le défi du jour était trop grand. Son papa aussi est fier. Les Noëls, le premier vélo, une enfance douce. Quentin reçoit un télescope et découvre les cratères et les mers lunaires. Il découvre le ciel et les étoiles. Le voilà qui veut devenir astronome.
L’enfant grandit et devient adolescent. Le rêve d’astronomie, toujours là, grandit avec lui. Intelligent, il séduit les filles.
Julie. Le premier baiser.
Avant, il y a eu cette main effleurée en sortant de la classe, ces rires échangés en sport. Cette proposition. Délicat. Comment s’y prendre pour demander à une fille si elle veut bien, quand c’est la première fois ?
Quentin prend l’avis des copains. Chacun y va de son conseil, de son commentaire. « Fais ci, fais ça…, dis-lui ci, dis-lui ça… »
Lequel se trompe, lequel a raison ?
Quentin demande à son père. Florian a toujours été là pour son fils. On ne se dérobe pas quand on est parent. Pas selon Florian, pas pour son fils. L’ADN ne compte pas. Quentin est son fils. « Sois toi-même, propose-lui gentiment de sortir avec toi. Et si elle dit “non”, tant pis, n’insiste pas. »
Quentin est à l’âge des premières expériences, de la liberté, du refus de l’autorité. Mais Julie lui plaît. Elle lui plaît vraiment. Alors pour avoir toutes ses chances, il suivra les conseils de son père.
Et Julie dit « oui ». Un beau oui, qui s’est ouvert sur ce premier baiser.
Le goût des lèvres de Julie… Il n’est pas près de l’oublier, le Quentin !

Quentin a vingt ans. Futur astronome, la tête dans les étoiles, il les observe dès qu’il le peut. Ses études sont brillantes. Ses parents sont fiers de lui. À aucun moment ils ne lui ont lâché la main sans qu’il ne soit prêt ou sans qu’il ne le leur ait demandé. Toujours derrière lui, à panser ses plaies et à rire de ses joies.
Après une journée de cours, le voilà qui retrouve des potes dans un bar pour passer la soirée. Et puis il se fait tard, demain il commence tôt. Alors après un dernier verre, Quentin serre les mains, fait des bises et rentre dans son studio d’étudiant. La résidence n’est pas loin. Quentin rentre à pied. Quelques mètres à peine qu’il est sorti du bar et il aperçoit un homme suivre une femme. L’homme marche vite, d’un pas décidé. Quentin sent que ses intentions ne sont pas bonnes.
La femme presse le pas, disparait à un coin de rue. L’homme accélère encore, franchit le coin de rue à son tour.
Et puis un cri.
Quentin se précipite.

***

François et Joëlle attendent un heureux événement.
Après neuf mois sans difficulté, Thomas nait. Beau. Dix doigts, dix orteils à croquer.
Il est venu quatre ans après Emma, la grande sœur. Deux ans plus tard, c’est Philippe, le petit frère, qui pointe le bout de son nez.

La petite famille ne peut pas être plus belle, plus heureuse. Les parents, épuisés, ne savent plus où donner de la tête. Mais qu’importe au fond. Ça en valait la peine. Ces enfants, leurs enfants sont superbes. Emma, toujours rieuse, toujours blagueuse, la jolie Emma avec son sourire d’ange. Thomas, la tête de mule qui n’en fait toujours qu’à sa tête, même pour les études. Philippe, qui profite sans cesse de sa position de petit dernier pour obtenir tout ce qu’il veut de ses parents.
« Dis, comment les avions font pour tenir dans le ciel ? »
Il en pose souvent des questions comme celle-là, Thomas. Il aime ça, les questions. Parfois, François et Joëlle essaient de répondre. Parfois, lassés ou fatigués de leur journée, un simple « Je ne sais pas. » doit suffire à Thomas.

Vient le collège et une énième rentrée scolaire. Que va faire Thomas de sa vie ? Il déteste que les profs lui posent cette question en début d’année. Ça ne rate jamais. Comme si, à son âge, on savait déjà ce genre de chose. Ingénieur, peut-être. Ça lui plaît bien tout ça. Mais il y a tant d’autres choses qui lui plaisent. Non, Thomas déteste qu’on lui pose ce genre de question. Il a bien le temps de se décider. Et puis il a autre chose en tête, Thomas.
Elle s’appelle Léa.
Léa. Les hormones en pagaille dans le corps de Thomas s’affolent quand il la voit. Son cœur bat plus fort. Pas de doute. Il est amoureux.
Elle aussi. Pas besoin de demander, tout se fait tout seul, avec naturel. Elle est jolie, Léa. Ils passent leur temps ensemble, rient ensemble, s’effleurent, se touchent. Les baisers amoureux, de plus en plus nombreux.
Et puis Léa se lasse. Comment la retenir ? Thomas vient demander à son père. Emma veut sortir en décolleté et jupe un peu trop courte au goût de François.
— Papa, je voudrais te…
— Pas maintenant, Thomas. Il est hors de question que tu sortes comme ça, Emma ! Non mais tu t’es vue, on dirait une pute !
Thomas se débrouillera seul pour retenir Léa. Après tout, c’est comme ça qu’on apprend et Thomas aime apprendre. Et puis c’est sa copine, ça ne regarde que lui. Mais comment la faire rester si elle ne veut plus ? Pourtant, il est sûr qu’elle l’aime encore.

Thomas a vingt-trois ans. Il fête son diplôme d’ingénieur en métrologie. Avec les amis, l’alcool coule à flot ce soir-là dans le bar. Pendant la soirée, une envie subite vient l’agacer. Sa vessie le démange. Où sont les toilettes dans ce grand bar plein de monde ? Thomas est saoul et décide qu’il sera plus facile et rapide d’aller se soulager dehors, contre un mur.
Voilà, c’est fait. À l’instant où il remonte sa braguette, il aperçoit une femme qui rentre chez elle. Dehors à cette heure-ci, c’est qu’elle en veut forcément. Il la suit.
Elle a dû s’en rendre compte, car elle presse le pas et tourne un coin de rue. Si ça c’est pas un signe qu’elle en veut…
Il accélère encore, la rattrape. Elle crie, se débat.

Un autre homme arrive, l’agrippe par l’épaule et le jette en arrière. Les deux se battent sous les yeux horrifiés de la femme qui appelle la police.
Les forces de l’ordre sont là, séparent les deux hommes, entendent chacun des protagonistes. Quentin raconte, Thomas aussi, la femme soutient Quentin. Sans son arrivée, elle aurait été violée. Se sont ses mots. Elle tremble. Choquée, elle est amenée aux urgences, les deux hommes aussi pour des côtes et une arcade sourcilière cassées.
Elle porte plainte et des prélèvements ADN sont faits sur elle pour les besoins de l’enquête. Thomas part en cellule de dégrisement, puis en garde à vue. Le juge d’instruction ordonne la prise de l’ADN de Thomas pour le comparer avec celui relevé sur la victime et celui de Quentin pour lever tout doute éventuel.
Les résultats reviennent et les deux hommes sont convoqués chez le juge d’instruction sans une explication.
— À quoi vous jouez tous les deux ?
— Pardon ?
— Pourquoi ne pas avoir dit tout de suite à l’officier chargé de l’enquête que vous êtes demi-frères ?

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