MARJOLAINE PAUCHET

Marjolaine PAUCHET

Genre : Nouvelle écologique

Copyright Marjolaine Pauchet

lion triste

La légende de Kou

Kou était un jeune et beau lion qui ne connaissait de la vie que ce que la cage du zoo dans lequel il vivait pouvait en contenir. Son nom, c’était les humains qui lui avaient donné. Ils réglaient sa vie, lui n’avait rien à faire, jamais rien…

Kou avait trois ans et une magnifique crinière flamboyante, ondoyante, que même le soleil aurait pu lui envier.

Dans sa cage, il était seul. Quand il naquit, il la partageait avec ses parents, ses tantes, son frère, un vieil arbre et sa sœur. Celle-ci était morte très vite, les humains n’avaient pas su pourquoi. L’été, la troupe se mettait à l’ombre sous le feuillage de l’arbre. De l’autre côté des grilles, les gens passaient, s’extasiaient. « Regarde maman, les lions ! » disaient les enfants tout heureux.

Kou ne comprenait pas ce qu’il y avait de si formidable à voir des lions, mais cela ne ratait jamais. À chaque fois, les enfants criaient, contents. Parfois, ils leurs jetaient des cacahuètes. Et les parents les arrêtaient. « Laisse ça, c’est pour les éléphants ! » Au zoo, tout le monde criait, à croire que les humains ne savaient pas parler autrement. De leur côté, devant ce défilé quotidien, les lions s’ennuyaient. Et Kou, comme les autres, chaque jour, attendait le soir que le zoo ferme pour être enfin tranquille.

De la vie, il n’en connaissait rien, il le savait bien. Leur père leur avait raconté la savane, là-bas, les gazelles, les antilopes, les zèbres… Il leur avait raconté ce jour terrible gravé dans la mémoire de la famille où les humains avaient tué toute la troupe pour attraper un seul lionceau vivant, son propre père. Il était arrivé dans cette même cage, un jour d’avril pluvieux et depuis, plus rien. Les enfants avaient défilé, étaient devenus grands et avaient amené leurs propres enfants.

D’autre de la vie, il n’y eu plus jamais rien… rien.

Mais le zoo avait des problèmes d’argent et dû vendre des animaux. Les autres lions, un à un furent vendus et il ne resta plus que lui. Il n’attendait plus la nuit pour rêver. La savane était devenue son obsession, son rêve permanent. Chaque mot de son père défilait dans sa tête, jour après jour au pied du vieil arbre autour duquel il tournait sans relâche pour avoir l’impression de faire quelque chose.

Parfois, Kou s’arrêtait de tourner et se mettait à appeler les siens aussi fort qu’il le pouvait. Alors, des enfants émerveillés disaient « Écoute, maman, comme il rugit le lion ! C’est vraiment le roi des animaux ! Écoute ! » La girafe à côté répondait avec tristesse au petit humain « Mais non voyons, il ne rugit pas, il pleure. » Mais bien sûr, le bambin restait sourd aux mots de la girafe et continuait à s’extasier.

Un soir, le zoo ferma. Il ne rouvrit pas le lendemain, il ne rouvrit plus. Kou était soulagé. Il avait l’impression d’entendre le silence de l’Afrique lointaine. Des gens vinrent chercher l’éléphant et la girafe. Ils vinrent chercher tous les animaux du zoo, le lion aussi. Kou avait été vendu à un cirque. Il avait connu l’ennui sans fin de la cage, le brouhaha quotidien des cris, les émerveillements des petits devant sa magnifique crinière. Maintenant l’attendait une autre vie.

Dès le lendemain de son arrivée commença le dressage. On le mit dans une grande cage avec un homme. Ce dernier tenait une longue lanière de cuir. Quand Kou voulu s’approcher, l’homme, d’un coup sec de la main fit claquer la longue lanière de cuir dans l’air. Kou, d’abord, fut surpris. Il ne savait pas encore ce qu’était un fouet. Il voulut approcher encore et cette fois, le fouet claqua sur son museau. Kou saignait, il avait mal, il était en colère contre ces humains à qui il n’avait jamais rien fait et qui lui avait volé le droit de vivre sa vie de lion dans la savane lointaine. Kou était fort, plus fort que l’homme avec son fouet qui faisait couler le sang, il le savait. Il tenta encore d’approcher, de montrer ce qu’était la vraie force. Le cuir lacéra la peau sur l’oreille puis sur l’épaule, mais la douleur rendait Kou furieux. Il se jeta sur l’humain qui se saisit d’un bâton posé contre la grille. L’aiguillon au bout du bâton s’enfonça dans la chair de Kou. Le fouet claqua sur le sol à plusieurs reprises. Puis, on ramena le fauve dans sa petite cage misérable. Il était à nouveau seul. Kou rugit encore et encore, à rendre le monde sourd. Il était seul.

Les jours suivants le dressage recommença, semblable à celui des jours précédents. À mesure que le temps passait, la peau du lion se zébrait des cicatrices du fouet. Lorsque la force et la volonté de Kou ne furent plus que lambeaux, on lui apprit des tours. Presque tous les soirs, il montrait ainsi sa peur de l’aiguillon en marchant sur ses pattes arrière et en sautant dans un cerceau de feu devant une foule médusée et ravie.

Entre les spectacles, des gens, comme au zoo, défilaient devant sa cage pour l’admirer, lui, le roi sans trône.

Un matin, un visiteur voulant montrer son courage à sa fiancée tendit le bras vers la cage. Kou, dans un rugissement, le griffa si profondément qu’il fallut l’emmener aux urgences pour qu’il ne perde pas son bras. Dès lors, plus personne n’approcha de la cage. On ne fit plus venir le lion en scène. Trois jours plus tard, le dresseur, le directeur du cirque et des hommes en costume cravate vinrent discuter devant Kou. Ils parlaient, la mine sérieuse, les uns accusant les autres. Le lion avait blessé, c’était intolérable et s’il ne pouvait être maîtrisé alors il fallait le tuer.

Lorsque Kou entendit cela, il se mit à rugir plus fort qu’il ne l’avait jamais fait, encore et encore et encore, il s’agitait, donnait des coups de patte dans le vide, comme fou. Laän, l’éléphante à côté, qui rêvait aussi de la savane barrissait de plus belle. Les gens présents, surpris, prirent peur, il fallait tuer ce fauve sanguinaire avant qu’il n’y ait d’autres victimes, c’était dit.

Alors survint Issa, un petit garçon à la peau chocolat que Kou n’avait jamais vu. Il s’approcha et dit à Kou dans une langue lointaine qui chantait l’Afrique : « Ne fais pas ça, s’il te plaît, ne les laisse pas te tuer, ne fais pas ça, la savane a besoin de toi, autant que tu as besoin d’elle, un jour, je te promets, je t’emmènerai là-bas. » Issa continua à parler à Kou dans cette langue étrange que les autres personnes ne comprenaient pas. Il lui parla de la savane, des antilopes couleur de sable et des zèbres blancs et noirs qui fuient devant les lions, il lui parla des cornes des valeureux gnous et des fleuves dorés gardés par les crocodiles. « Ô roi, disait l’enfant, si tu les laisses te tuer, tu ne rencontreras jamais tes sujets, tu ne verras jamais l’Afrique ». À mesure qu’Issa parlait, le lion se calmait. C’était la première fois qu’on lui racontait la savane depuis que son père avait été vendu, jadis, par le zoo. Il accepta de patienter, d’attendre qu’on vienne le chercher.

Les années passèrent.

Un jour, Issa, devenu homme, revint avec d’autres personnes. Il venait tenir la promesse qu’il avait faite à Kou, il venait le ramener en Afrique. Mais lorsqu’il vit le directeur du cirque, on lui apprit que Kou était mort. Il avait attendu, rêvant jour après jour de la savane et puis il en avait eu assez d’attendre. Il s’en était allé, allongé dans sa cage, il avait fermé les yeux et ne les avait jamais rouverts. Issa se mit à pleurer, il se sentait coupable, comme personne avant lui. Il avait fait une promesse et n’avait pas su la tenir. C’est alors qu’il entendit un barrissement. Laän, l’éléphante, était toujours là, balançant son pied enchaîné d’avant en arrière pour tromper l’ennui. Issa posa sa tête contre la trompe de Laän. « Pardonne-moi, murmurait-il, pardonne-moi. » Il n’avait pas su sauver Kou alors c’était décidé, il sauverait Laän. Il l’acheta au directeur du cirque puis, avec les amis qui l’avaient accompagné, il l’emmena.

Laän monta dans un train, dans un bateau et enfin dans un camion. Le voyage semblait interminable.

Lorsque enfin le véhicule s’arrêta et qu’on la fit descendre, la savane s’étendait tout autour d’elle, à perte de vue. Des gazelles faisaient des bons ici et là, les gnous paissaient, tranquilles, une légère brise caressait le visage de l’éléphante tandis qu’une famille de phacochères se précipitait dans leur terrier. À une quinzaine de mètres se trouvait un petit point d’eau où des animaux s’abreuvaient. De l’autre côté, une troupe d’éléphants. Laän barrit, ils lui répondirent et vinrent à sa rencontre. Elle regarda Issa puis se dirigea vers ses congénères. Lorsqu’ils se furent salués et présentés, une larme, des yeux de Laän, coula. Elle gratta le sol avec son pied et y déposa quelque chose qu’elle gardait dans sa trompe depuis des années. Quand Kou était mort, avant que les humains n’emportent son corps, elle lui avait pris une dent en souvenir de lui. Tout ce temps, elle l’avait gardé bien à l’abri dans sa trompe. À présent qu’elle était en Afrique, elle déposa le croc du lion dans le trou qu’elle venait de creuser.

Soudain, un coup de tonnerre déchira le ciel clair. Issa, surpris, leva les yeux. C’était Kou, parmi les nuages, qui rugissait. À chacun de ses rugissements, le vent filait et les antilopes fuyaient.

Devant le nuage Kou, le jeune homme sourit, car il savait maintenant que le roi de la savane était chez lui.

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