MARJOLAINE PAUCHET

Marjolaine PAUCHET

Genre : Nouvelle de science-fiction

Copyright Marjolaine Pauchet

Photo de Pluton

Si Pluton m'était conté

La sonde est prête à partir.

Tant d’espoir en elle. Elle doit apporter des réponses sur ces mondes lointains et sur cette étoile qui se tient là, à 5,9 milliards de kilomètres.

Pour commencer, elle ira à la rencontre des planètes géantes, Chapi, la première, toute bleue, magnifique. Puis Zherst, Yold avec ses anneaux et bien sûr, la plus grande de toutes, avec son diamètre de presque cent quarante-trois mille kilomètres, Aahga.

Enfin, elle atteindra Jyupd, son principal objectif : le plus gros astéroïde de la ceinture au-delà d’Aahga. Avec un peu de chance, on trouvera de la vie sur Jyupd. Quelles sont les chances ?

D’après la Pr. Krost, elles sont faibles. On est déjà si proche de l’étoile à cette distance. Au-delà, on est certain de ne rien trouver d’intéressant. En-deçà des sept cent soixante-dix-huit millions de kilomètres de distance à l’étoile, soit la distance Aahga-étoile, il est généralement considéré qu’il fait trop chaud pour permettre l’apparition de la vie. Sans compter les rayonnements stellaires, trop violents encore.

 Oaiiu arrive auprès de la professeure.

— On est prêt ?

— Vous avez une idée du temps qu’on a passé là-dessus ? Cette sonde représente tant de travail. Les réponses qu’elle doit nous apporter…

— Vous savez aussi bien que moi que ce genre de mission d’exploration apporte toujours plus de questions que de réponses.

— Je ne compte plus mes rêves sur ce que dévoilera Jyupd ou même Yold.

— Comme tout le monde ici. Mais Yold ? Vraiment ? Vous savez bien que…

— Qu’il y a trop de gaz, trop chauds, trop denses, trop… Oui, je sais. Mais ses satellites peuvent porter la vie.

— Vous y croyez ? Je crois que même sur Jyupd, on ne trouvera que de la roche, de la poussière, de l’eau peut-être.

— Mais on ne trouvera pas de glace de monoxyde de carbone. Donc pas de vie. C’est votre idée ?

— Il fait trop chaud là-bas.

— Ce n’était pas la question. Vous ne pensez jamais que de la vie pourrait apparaître sous d’autres formes ? Dans d’autres conditions ?

— Je vous pensais professeure, pas romancière… Avec du méthane, peut-être. Mais de l’eau ? Soyez sérieuse. Voyez-vous une molécule plus inapte à porter la vie ? Et pourquoi pas sur les quatre planètes rocheuses au-delà de Jyupd tant que vous y êtes ?… Soyez sérieuse.

— L’approche du lancement me fait revivre mes rêves d’enfant. Pourtant, imaginez… Et si nous découvrions de la vie ailleurs, dans notre propre système stellaire !

— Ce serait la plus grande découverte, assurément. Mais vous n’êtes plus une enfant.

La Pr. Krost sourit et annonce, l’émotion dans la voix, que tout est prêt.

— Et vous, reprend-elle tandis qu’Oaiiu s’en va, vous devez bien avoir une petite préférée parmi ces planètes ?

— Zherst.

La professeure sourit à nouveau.

Lorsque la sonde quitte enfin le sol, emportant avec elle les questions de tous les scientifiques, la professeure la regarde, fébrile, sentant, au-delà du rêve d’enfant, que son trajet sera tout à la fois tumultueux et riche d’enseignements.

Dans son champ de vision, la lointaine étoile qui leur envoie si peu de lumière et de chaleur, l’idéal pour la vie. La sonde va d’abord faire le tour de l’énorme satellite pour gagner en vitesse. Les Leviens et les Sshluriens, les habitants du double monde n’ont plus qu’à attendre les premières données que la sonde leur enverra dans un avenir à la fois proche et lointain.

Les premiers temps, tout reprend son train-train habituel. Il va falloir s’armer de patience avant que la sonde ne fasse à nouveau parler d’elle. Tous ceux qui ont travaillé à sa réalisation se lancent dans d’autres projets. À les voir s’affairer, là à une nouvelle sonde, là à des calculs savants ou à des hypothèses, déductions et supputations grandiloquentes, on pourrait croire que le petit engin qui vogue seul désormais vers l’intérieur du système stellaire n’a jamais existé. Pourtant, ledit engin n’est pas vraiment seul. Un quelque-chose de ses concepteurs, leurs pensées, leurs espoirs, l’accompagne à chaque instant.

D’où leur vient cette volonté farouche de découvrir les mystères de mondes qui ne sont pas les leurs et qui leur sont si éloignés ? Cette volonté de comprendre à tout prix ce qu’il y a par-delà l’espace qui sépare toute chose en cet univers ? Eux-mêmes ne sauraient le dire. Depuis l’aube des civilisations, ils ont toujours eu le regard tourné vers l’ailleurs. Ce besoin viscéral de briser les mystères les plus tenaces, de mettre du sens là où il n’y en avait pas.

Cette sonde qu’ils ont envoyée, c’est un petit trou de serrure qu’ils sont en train de creuser pour contempler cet ailleurs et tâcher de deviner la pièce entière à travers ce seul trou. Mission impossible ? C’est pourtant celle qu’ils se sont confiée.

La professeure marche dans la grande ville qui l’a vue naître, Hj. Les immeubles de métal se succèdent, froids et rassurants, tous plus hauts les uns que les autres. Certains atteignent même la hauteur record de vingt-deux centimètres ! C’est l’hiver. Saison où tout renaît à la vie. Partout, la végétation grise perce la lourde couche de neige de monoxyde de carbone. La jeune femme sent le glacial vent vivifiant sur sa carapace bleue.

Le temps passe. Les saisons  se succèdent. La Pr. Krost a eu le temps de devenir mère. Une trentaine de bambins, dont un dixième au mieux atteindra l’âge adulte la regardent avec une certaine fierté en songeant à ce que leur maman a accompli. Oui, elle fait partie de l’équipe qui a conçu la sonde et l’a envoyée si loin pour comprendre un peu mieux le système stellaire.

Et dans quelques jours, si tout se passe bien, la sonde reprendra enfin le contact, après un long silence, pour dire que tout va bien et qu’elle arrive à proximité de Chapi.

Les premières images sont spectaculaires. Tous les habitants de Levi et Sshlur sont émerveillés par ce monde lointain et immense.

Le temps passe encore. Zherst.

Sur son trajet, la sonde peut espionner deux des satellites de Yold. Agté, le plus gros, est laissé de côté. Une telle atmosphère, aussi dense et de pareille couleur ne peut laisser entrevoir qu’un monde chaud et donc dénué de vie. Y perdre du temps est sans intérêt. Mais les deux satellites choisis ne livrent hélas rien de bien palpitant à se mettre sous la mandibule.

La professeure est déçue. Savoir qu’il ne faut pas rêver n’empêche pas le triple cœur de se serrer lorsque la réalité apparaît. Trop de glace d’eau. Impossible d’imaginer quoi que ce soit de vivant dans ces conditions dantesques. Ces mondes doivent être des fournaises.

Bientôt, l’engin poursuit son chemin vers le colosse du système stellaire, Aahga et son plus grand satellite : Rukm. Peut-être encore assez frais pour que de la vie extrémophile ait pu s’y développer. Juste assez frais pour un espoir.

Les chercheurs se concentrent sur les dizaines de données que la sonde envoie. Ils analysent le sol, l’atmosphère. Des montagnes se dessinent, des plaines, des falaises de glace.  Un cœur qui semble riche en fer. Que détecte-t-on ? Bientôt, Oaiiu fait une moue qui en dit long sur ce qu’il est en train de lire.

La glace est d’eau. Et sous la glace, de l’eau liquide. Une quantité inimaginable. Tant pis, pour lui qui ne cherchait pas de vie, tout est bon à prendre. Ce sont des données fantastiques qui se révèlent. De quoi élargir le trou de serrure. De quoi occuper la recherche pendant des décennies.

Pour Oaiiu, la mission est déjà un grand succès. Quand on ne s’attend à rien, toute découverte est grandiose.

La Pr. Krost, malgré une légère déception, se sent noyée sous la montagne d’informations et d’images qui arrive.  Ces mondes étranges et fascinants que tous découvrent en même temps ont de quoi ravir les plus bougons.

La professeure repense alors à cet autre rêve de gosse, quand Leviens et Sshluriens se livraient à cette stupide guerre séculaire. Déjà la tête dans les étoiles, elle espérait la paix qui rendrait enfin possible l’exploration spatiale.

La paix était venue et comme elle, d’autres avaient porté les yeux vers les étoiles. Le rêve qui paraissait inaccessible se retrouva d’un coup à portée d’antennes.

Elle sourit à ce souvenir et se replonge tête baissée dans l’analyse des données. L’un de ses fils travaille désormais avec elle.

Elle a eu le temps d’en avoir d’autres, une bonne vingtaine d’autres enfants.

Le survol effectué, la sonde se dirige vers Jyupd.

Là, l’impensable se produit. Malgré sa forte proximité à l’étoile et son importante quantité de glace d’eau, des traces de vie sont identifiées. Oaiiu, la Pr. Krost, son fils et tous les autres vérifient les résultats jusqu’à en avoir mal aux yeux. C’est une quasi-certitude à présent, il existe de la vie sur Jyupd.

Sitôt, tous les médias de Levi et de Sshlur sont prévenus et en font leur une. On ne parle plus que de ça, partout. Il faut renvoyer une sonde. Celle-ci se posera, prélèvera des échantillons, permettra peut-être même un premier contact.

Les gouvernements du double monde se coordonnent pour financer ensemble la plus importante mission spatiale de tous les temps tandis que la sonde continue sa route vers l’étoile.

Alors que la conception de sa petite sœur avance bon train, elle passe l’orbite de Gad, la planète qui fait suite à Jyupd, mais ne détecte rien de palpitant. Elle se dirige vers la troisième planète du système stellaire, Ruld : un rapide survol qui renvoie quelques données, avant de poursuivre sa route vers Ox puis Klmde.

La Pr. Krost analyse les données de Ruld. On sait depuis longtemps que ce corps lointain situé à au moins 4,5 milliards de kilomètres de Levi émet des ondes radio. Le seul corps du système stellaire à posséder cette particularité qu’on ne sait expliquer. Les ondes gamma sont bien plus efficaces pour communiquer. Il ne peut donc s’agir de la signature d’une civilisation. Un processus plus ou moins inconnu a sans doute lieu dans le cœur de la planète qui produit ces ondes.

En décortiquant les images et les colonnes de chiffres reçues, la professeure découvre des mouvements coordonnés à la surface de Ruld, lesquels semblent tendre à réduire l’entropie. Elle compare, relit, recalcule, observe avec la plus extrême minutie chaque image pour enfin aller montrer le fruit de ses recherches à son fils et à Oaiiu.

— Vous reprenez vos rêves de gosse. Je suis certain qu’il y a une erreur dans vos calculs.

— Voyez par vous-même.

— C’est…

— Seule la vie sait réduire l’entropie, le reste de l’univers tend à l’augmenter, vous le savez aussi bien que moi. La sonde pour Jyupd n’est pas encore prête, on peut peut-être convaincre la commission de créer une sonde jumelle pour le même prix et de l’envoyer sur Ruld ?

 

Le temps passe. La professeure n’est plus ni ses enfants.

Atvi est fière de faire partie de l’équipe qui s’apprête à envoyer la double sonde.

— Tout est prêt ? demande Ged en entrant dans son bureau.

— Si seulement ma grand-mère était encore là pour voir ça, dit-elle sans se détourner du ciel noir qu’elle contemple pensive.

— Tout est prêt ?

— Ma grand-mère avait un rêve, vous savez. Et je crois que j’ai le même.

— Et nous sommes à deux doigts de réaliser ce rêve. Mais pour cela, il faut envoyer les sondes.

Atvi se retourne enfin. Ses yeux brillent.

— Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Le temps passe…

 

Une petite sonde étrange pénètre l’atmosphère de Ruld.

Quelque part sur une plage de Ruld.

— Tu as vu, maman ?

— Quoi ?

— Ce grain de sable, il a l’air bizarre… il est violet.

— C’est vrai qu’il est violet. Il est joli.

— Tu viens, Sophie ! On va se baigner !

— J’arrive !

La petite fille en oublie son grain de sable et court vers son frère.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *